Réintégration et... vinaigrette !

C'était à l'automne 1996, j'assistais à une conférence lorsque l'orateur cita en ces mots un sage ancien : "La Réintégration va à la vitesse d'une vinaigrette." Puis il enchaîna avec cette question : "Comment la Réintégration peut-elle aller à la vitesse d'une vinaigrette ?", avant d'ajouter que ceux qui le souhaitaient pouvaient réfléchir à la question...

Très intrigué par cette affirmation, je commençais aussitôt des recherches. Vinaigrette ? Non, il ne s'agissait pas de la sauce salade qui m'était tout de suite venue à l'esprit mais d'un moyen de locomotion utilisé au XVIIIè siècle : "une voiture à deux roues en forme de chaise à porteur dans laquelle on se faisait traîner par un homme" disait le dictionnaire.

Une fois ces renseignements en poche, je trouvai la chose simple : si on ne tirait pas la voiture, elle n'avançait pas. Il fallait donc se donner un peu de mal ! C'était facile à comprendre. Je me désintéressai de la question.

Mais, il y a quelques semaines, j'ai retrouvé quelques photocopies faites sur le sujet et la vinaigrette a recommencé à me trotter dans la tête. N'y avait-il donc rien d'autre à découvrir ?

"La Réintégration va à la vitesse d'une vinaigrette." La Réintégration, selon les écrits mystiques, c'est le retour de l'âme au sein de l'unité après son long voyage dans le monde manifesté.

"La Réintégration va à la vitesse d'une vinaigrette."

Mais la Réintégration de qui ? Jusqu'à ces derniers jours, j'avais instinctivement pensé qu'il s'agissait de notre Réintégration individuelle : donc dans le cas présent, de la mienne ! Pour avancer, il faut "porter sa croix", "son fardeau", souffrir un minimum : en deux mots, "tirer sa vinaigrette" ! Sinon : point de salut ! C'est bien connu ! Mais pourquoi ce conférencier avait-il proposé de réfléchir sur un sujet aussi... simpliste !

La vinaigrette, c'est un peu le pousse-pousse du XVIIIè siècle dans nos contrées ! La grande différence avec le pousse-pousse qui est à découvert, c'est que la vinaigrette a un toit et qu'elle est même fermée. Climat et confort obligent !

Donc, pour parvenir à la Réintégration, je n'ai qu'à tirer ! Mais dans quelle direction ? C'est où la Réintégration ? Et puis, si je trouve la route, pourquoi m'encombrer d'un tel boulet à tirer ? Est-ce le fait de tirer la vinaigrette qui permet de trouver le chemin ? Quelle drôle d'idée !!!

J'en étais là de mes interrogations faites en galopant devant ma vinaigrette lorsque je pris conscience que depuis plusieurs années, je n'en avais pas lâché les deux bras et que j'avais couru dans tous les sens.

Tout, ces dernières années, me faisait l'impression de s'être accéléré, dans le monde, comme dans ma propre vie. Toujours plus et toujours plus vite. Toujours plus de travail, de peine, de souffrances rencontrées, toujours plus de sollicitations, de réponses, d'initiatives, de temps passé, de courses après la Vie, après le repos qui jamais ne vient plus. Accélération.

Accélération personnelle, collective, mondiale... Toujours plus, toujours plus loin, toujours plus fort, toujours plus terrible... Jusqu'où ? Jusqu'où faudra-t-il aller en courant avec ma vinaigrette à bout de bras ? C'est si lourd, parfois ! C'est si lourd...

C'est par où la Réintégration ?

Usé par cette course, je pris la décision de m'arrêter. Je dépliai les calles de la vinaigrette pour pouvoir la lâcher sans qu'elle tombe et je frottai mes bras et mes épaules endoloris par toutes ces années d'efforts.

C'est par où la Réintégration ? Quelqu'un peut-il me le dire ?

C'est alors que, derrière moi, j'entendis la porte de la vinaigrette s'ouvrir et, me retournant, je vis mon âme en descendre doucement. Ma stupeur fut totale ! Comment n'avais-je pu penser que la vinaigrette que je tirais depuis si longtemps abritait... quelqu'un ? Comment avais-je pu envisager de l'abandonner pour poursuivre... seul sans m'être posé de question ?

"Monte, me dit mon âme, assieds-toi. Je t'emmène." Sans voix, je montai. Mon âme replia les calles et se mit à tirer la vinaigrette. Son pas était si fluide que j'eus l'impression qu'elle volait...

Laisser conduire mon âme. Me laisser conduire ! Je compris alors que la route importait peu, que seules nos rencontres étaient essentielles y compris nos rencontres avec nous-mêmes. Je compris que la Réintégration n'avait aucun caractère individuel et qu'elle n'aurait lieu que lorsque tous nous serions prêts. Tous. Sans exception aucune. Cela créait des liens nouveaux.

Je sus aussi à ce moment-là qu'il me faudrait résister aux sursauts de mon mental qui voudrait tôt ou tard reprendre la tête et choisir la route et tirer à nouveau la vinaigrette parce que, tout bien analysé, ce serait "plus sûr"...

Je m'aperçus alors que mes mains étaient enfin libres de leur fardeau. Je les joignis sur mon coeur laissant échapper la plus profonde des prières que jamais je n'avais formulée pour le monde et tous mes frères.


Dazur

Pour vous exprimer sur ce thème, communiquer avec son auteur,
cliquez sur le blason.


Copyright © 2002/2006 - Les Baladins de la Tradition