Saint Colomban et le monachisme du 7e siècle
Page précédente - Page suivante

La vie de Saint Colomban

La vie de Saint Colomban nous est connue grâce à la plume zélée de Jonas de Bobbio, moine de cette fondation Italienne, qui, ayant suivi le père abbé dans ses pérégrinations, les mettra par écrit dès 640, soit 25 ans à peine après la naissance au ciel (c'est-à-dire la mort terrestre) de son frère bien aimé. Né en 540 d’une famille du Leinester, Colomban est au dire de ses contemporains un grand et beau garçon au port altier. Il est instruit puisque, en bon barde, il connaît les arts, la poésie, l’histoire, la philosophie et le rythme. Il a étudié Virgile, Pline, Salluste, Horace, Ovide et Juvénal. En vrai celte il restera sensible toute sa vie à la poésie et à l’occasion saura produire une pièce en vers latin à la façon d’Horace. C’est un homme décidé dont on redoute le caractère. Jeune moine, il est formé aux écritures et à la vie spirituelle par un maître prestigieux, Sinell, au monastère de Claun-Inis. Puis à Bangor dans "la vallée des anges", sous la direction du célèbre abbé Comgall, il est dressé sous l’austère mais salutaire règle de la milice du Christ. C’est à partir de ce monastère qu’il entreprend sa pérégrination pour Dieu. Cet exil volontaire, bien dans la tradition des moines irlandais, le conduit en 575 à accoster, en compagnie de douze de ses frères dont il a pris la tête, en Armorique, près du village qui porte encore le nom de Saint Coulomb.

De ce lieu, situé entre le mont Saint Michel et Saint Malo, il passe en Gaule et se dirige, à pied, vers Rouen puis à l’Est par Noyon et Reims, il constate, selon ses dires que : "la vertu est à peu près inexistante". En effet, les invasions ont ramené le pays au stade de la barbarie la plus cruelle et c’est à peine s’il subsiste quelques rares foyers de Christianisme. Chemin faisant, Colomban et ses compagnons prêchent et suscitent des conversions. Ces hommes étranges, pour les populations locales, ont un impact important. Leurs robes blanches, leur tonsure si particulière, l’austérité de leurs mœurs qui s’accorde à leur propos, interpellent les habitants des villes et des campagnes. Ce ne sont pas des inconnus qui se présentent à la cour du roi de Neustrie, Sigisbert. Leur réputation les a précédés. Il leur accorde l’autorisation de fonder un monastère : ce sera Annegray. Ce lieu isolé est situé dans la vallée du Breuchin, près d’un village dont le nom rappelle à l’évidence qu’il est terre celte : Voivre (1). Là au pied des Vosges ils construisent les premières cabanes de branchages autour d’une hutte un peu plus grande : l’église.

Peu à peu la colonie s’enrichit de vocations locales. La population a vite accepté ces moines épris d’extrême et d’absolu qui prêchent par l’exemplarité de leur vie, créant un contraste avec le clergé amolli de cette époque. De généreux donateurs se manifestent, procurant des vivres en cas de pénurie. Ils seront d’ailleurs payés de retour, Colomban ne dédaignant pas, à l’occasion de faire quelque miracle en leur faveur. Ce premier site ne suffisant plus, un second sera érigé en 590, non loin de là à Luxeuil. Ici également le monastère sera fondé près des sources où la tribu celte des Séquannes rendait un culte aux forces chthoniennes. Peut-être même ce culte perdurait-il malgré la romanisation des lieux transformés en thermes ? Raison de plus pour y planter l’étendard du Christ : on utilisa les ruines d’un temple de Diane pour édifier l’église. C’est à Luxeuil que séjournera le plus ordinairement l’abbé Colomban établissant des prévôts sur la fondation précédente. Puis ce fut, vers l’an 600, la création de Fontaines. Également située dans une vallée, celle du Breuchot, petit affluent de la Saône, la nouvelle fille de Annegray sera confiée à la prévôté.

Dès cette époque, dans l’ensemble des trois monastères, on dénombre environ trois cents moines. Ce rapide succès, encourage sans doute le saint homme dans son entreprise de redressement des mœurs. Pensant à juste titre que l’exemple vient d’en haut, il prend pour cible de sa prédication Thierry II qui règne sur la Burgondie. Ce dernier est encouragé dans sa licence par sa grand-mère Brunehaut qui en fait règne et ne souhaite pas voir son petit-fils épouser légitimement une jeune femme, peut-être ambitieuse, qui deviendrait la vraie reine. En face des grands, Colomban assume pleinement son rôle de prophète ; il ne mâche pas ses mots. Rejetant tout calcul diplomatique, il emploie le langage de la fermeté et de la morale. Il semble bien que ces éclats fréquents fassent partie de son ascèse. Thierry et la noblesse de son entourage reprochent à Colomban de leur interdire l’accès de son monastère : le respect de la clôture n’étant sans doute pas encore de règle en Gaule. Les prélats du voisinage voient également ce donneur de leçons d’un mauvais œil. De plus ses pratiques originales ne s’accordent pas toutes avec celles de Rome dont pourtant Colomban se proclame le fidèle sujet. Outre la vêture et la tonsure, les moines Irlandais avaient en propre leur liturgie et surtout une date de la fête de Pâque différente (2). 

N’ayant pas, malgré deux lettres à deux Papes successifs, réussi à convaincre Rome d’adopter le seul comput valable selon lui, Colomban fut convoqué par le concile des évêques de Burgondie, réuni à Chalons en 603. Il répondit presque poliment en déclinant l’invitation et en faisant part de son étonnement qu’un si grand nombre de prélats se soient assemblés pour débattre de sa modeste personne. En bon père, il leur conseille de se réunir plus régulièrement pour débattre des questions urgentes concernant l’église comme l’exigent les canons et qu’au reste, ils devraient bien imiter plus fidèlement le Christ sur le chapitre de l’humilité.

Celte intégral, Colomban, abbé, c’est-à-dire faiseur d’évêques ne pouvait pas admettre que ceux-ci puissent le convoquer et de plus discuter son comput. Le concile considéra qu’avec un tel homme, la prudence était mère de la paix et se garda d’insister. Mais il n’en fut pas de même avec la reine Brunehaut qui fit émettre à son encontre un ordre d’exil. Conduit à Besançon, Colomban s’évada libérant au passage les autres prisonniers. On le reprit de nouveau dans son monastère où il était simplement rentré, pour, cette fois, lui faire regagner son île natale. Sous bonne escorte, il est conduit jusqu’à Nantes en compagnie de ses frères Irlandais de la première heure. Chemin faisant, il accomplit quelques miracles, prêche et convertit malgré la défense faite au peuple d’entrer en contact avec lui. La petite troupe passe par Autun, Auxerre et à Orléans où la population, prévenue contre Saint Colomban, lui refuse la nourriture, il est accueilli chez un couple de Syriens dont une importante colonie réside en Gaule. On embarque sur la Loire jusqu’à Tours, ville de Saint Martin, pour lequel l’abbé nourrit une grande vénération. Étape obligatoire donc, pour un temps de prière sur les reliques du grand homme. En retour, l’intercession de Saint Martin fera retrouver les bagages volés.

Arrivée à Nantes, la troupe séjourne le temps de chercher un bateau en partance pour l’île verte. Le navire trouvé, les moines embarqués, les soldats s’en retournent soulagés, sans doute d’avoir mené à bien leur mission. C’était oublier la complicité que Colomban avait noué avec les éléments naturels et sa détermination à accomplir la mission que Dieu lui avait confiée. Les vents soufflent en sens contraire et les tentatives faites pour sortir de l’estuaire se soldent par un échouage de la nef. Les moines s’échappent et remontent vers l’Est, évitant simplement les terres de Thierry. Rouen, Soissons, Paris, Metz, Coblence, Mayence, reçoivent la visite de la sainte troupe toujours prêchante. A Ussy, il séjourne dans une noble famille dont le plus jeune fils Dadon deviendra l’évêque de Rouen : Saint Ouen. Est-ce à Rouen ou à Soissons que Clotaire reçut avec empressement le saint homme dont la réputation est maintenant bien établie ? Nous ne le savons plus. Mais toujours est-il que le rôle de conseiller politique ne fera pas oublier à Colomban son devoir d’apôtre. Il profitera de sa présence à la cour pour blâmer la vie scandaleuse que l’on y mène. Remontant le Rhin vers le lac de Constance, le prophète s’arrête à Bregentz pour fonder un nouveau monastère. C’est là que Saint Gall, le vieux compagnon de Bangor sera laissé pour évangéliser les Germains. Colomban lui léguera son bâton lors de sa mort ; la fameuse cambute des longues pérégrinations communes, témoignage matériel d’une filiation spirituelle et du devoir de continuer l’œuvre.

Colomban reprend sa route et passe en Italie où il est (peut-être) appelé par Agilulf, le roi des Lombards. Au passage, un autre de ses compagnons s’arrêtera pour fonder lui aussi : Sigisbert fit de son ermitage au pied du Mendels les prémices de l’abbaye de Notre Dame de Disentis. Seul avec Attal, le saint moine arriva à Milan où il fut reçu par le roi en l’an 613. L’arianisme qui avait quasiment supplanté le christianisme romain dans toute l’Europe (3) était particulièrement virulent dans cette contrée ; Agilulf lui-même professait cette erreur. Colomban voit l’urgence de la prédication et décide de fonder en Italie. Ce sera Bobbio, du nom de la rivière au bord de laquelle s’élèvera l’abbaye.

Tel un nouvel Elie, assumant sa vocation de prophète, il écrit au pape Boniface IV afin de l’inciter à la fermeté envers l’hérésie. Cette lettre est un fleuron de la littérature chrétienne, rien n’y manque, style, poésie, humour et humilité ; un des passages les plus savoureux nous montre l’état d’esprit du Saint abbé : " Nous, Irlandais qui habitons les extrémités du monde... nul d’entre nous ne fut jamais ni hérétique, ni juif, ni schismatique... Pardonnez-moi si je vous ai dit quelques paroles offensantes pour des oreilles pieuses. La liberté native de ma race me donne cette hardiesse. Chez nous, ce n’est pas la personne, c’est la raison qui prévaut. L’amour de la paix évangélique me fait tout dire. "

C’est à Bobbio que Saint Colomban termine sa pérégrination terrestre le 23 novembre 615. Dans l’oratoire de son ermitage, dédié à Saint Michel, où il passait la plus grande partie de son temps, après avoir célébré une dernière fois l’eucharistie dans le calice de bronze (4) verdi par les ans, (celui-là même qui lui avait été remis lors de son ordination), il entre dans l’éternité.

Il laisse une œuvre dont les effets changeront le visage et l’histoire de l’Europe.

(1) - La Vouivre était le nom donné à la personnification des forces chthoniennes souvent représentées par un serpent ou par un dragon. Ces forces avaient le double aspect génésique, de croissance et de mort, et de destruction. (Retour au texte)

(2) - Il semblait impensable que la Pâque Chrétienne puisse coïncider avec celle des Juifs, ce qui était le cas avec le comput Irlandais au moins pour les années 600 et 603. (Retour au texte)

(3) - On compte qu'à cette époque, 80% du clergé était arien. (Retour au texte)

(4) - Les prêtres Irlandais utilisaient des calices de bronze à l’exception de toute autre matière. (Retour au texte)


Copyright © 2002/2005 - Les Baladins de la Tradition