Saint Colomban et le monachisme du 7e siècle
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Saint Colomban : la légende

Raconter la vie d’un Saint du VIIe siècle en s’en tenant strictement à ce qu’il est convenu d’appeler la réalité historique, c’est faire l’impasse sur une autre réalité, beaucoup plus importante aux yeux des générations qui nous ont précédées, nous léguant des légendes (ce qui doit être lu) afin que précisément, les événements parviennent jusqu’à nous, revêtus de leur signification profonde. Si de plus, ce Saint est Irlandais, c’est-à-dire Celte, cela reviendrait simplement à amputer l’histoire.

Colomban est natif de cette île (verte c’est ce que signifie son nom) où aborda Joseph d’Arimatie, porteur de la Sainte Coupe ayant recueilli le Précieux Sang du Christ. Cette coupe, le Saint Graal est comme chacun sait, taillée dans l’émeraude (verte) que l’Ange déchu, Lucifer, laissa échapper lors de sa chute. Ce qui confère à chaque Irlandais digne de ce nom un devoir spirituel particulier. Cette légende, si cela en est une, nous indique que l’Esprit avait préparé, dans cette noble terre, quelques gouttes du sang du rédempteur, c'est-à-dire le germe spirituel d’une nouvelle forme de la Tradition. Nouvelle dans son exotérisme mais éternelle dans son fondement.

La fidélité à sa mission guidera toute sa vie notre saint ; cette vocation lui est annoncée par une femme ermite dès son adolescence. Ce qui donne sens à sa vie, c’est en effet d’accomplir scrupuleusement la fonction pour laquelle Dieu l’a créé, dût-il, comme le continue la légende, passer sur le cadavre de sa mère pour franchir la porte qui le conduit vers son destin. Ceci nous enseigne que certains hommes sont prédestinés à une tâche précise de toute éternité. Cette lignée qui commence sans doute avant la naissance d’Abraham passe par lui et par Elie, Jean le Baptiste et d’autres qui sont comme Colomban héritiers de l’Esprit. Dans la tradition Bouddhiste, on les appellerait "Tulcu", en Islam "Pôles". Ils jalonnent le temps et sont les bornes de l’Eternité. N’oublions pas qu’Elie est pour les Musulmans comme pour les Israélites, celui qui doit revenir à la fin des temps, nous retrouvons cela dans les Evangiles aussi.

Un autre point important de l’histoire peut nous aider à comprendre la démarche spirituelle de cette époque et de ce peuple. Lorsque Colomban entreprend sa perigrinatio pro Deo, il le fait en compagnie de douze de ses frères. Il reproduit ainsi le modèle Christique. Ce qui situe également son rôle au sein du petit groupe et la raison de l’obéissance absolue et volontaire de ses compagnons. Certains modernes objecteront sans doute qu’abdiquer sa liberté n’est pas digne d’un homme ? Il nous sera facile de leur répondre par cette définition de la liberté : "c’est l’acceptation volontaire d’une discipline".

Le charisme de guérison est aussi une invite à situer dans la suite du Christ ceux qui le manifestent. Colomban possède à un haut degré ce pouvoir thaumaturgique, signe évident de sainteté, nécessaire pour convaincre les populations. Or il guérit tout ce qui se présente, peste et rhume... Dans ce même ordre d’idées, il est possible de placer les diverses multiplications de froment, de pain et de poisson qu’il accomplira, ainsi que les pêches miraculeuses réalisées sur ses indications par Saint Gall. Ce don est pour le moins bien utile dans cette période de grande famine. Il n’est pourtant, comme le montre l’exemple du Christ, que le symbole de la multiplication d’une nourriture spirituelle. Pour ce qui est des rapports avec les animaux, il est possible d’y voir la trace d’une spiritualité accomplie. Toutes les traditions du monde véhiculent en effet que certains hommes parvenus à un haut degré de spiritualité sont en mesure de converser avec les bêtes, comme sans doute le faisait Adam en Éden, lorsque tout était Un.

Avec Saint Colomban, il y a pourtant une petite modalité particulière : s’adressant au frère corbeau, s’en faisant obéir, il devient un nouvel Elie affirmant sa vocation de prophète et nous donnant ainsi une précieuse indication concernant sa lignée spirituelle. Puis il soumet les ours, leur faisant même porter le joug à la place des bœufs ; l’ours est en effet le symbole du roi dans la mythologie celte (Artus-Arthur), ce roi qui ne meurt pas. Or c’est en premier lieu vers les rois de son temps que va se porter l’action de redressement moral de notre moine ; ses successeurs poursuivront sa tâche. Lorsque, près de son ermitage, il frappe le rocher de sa cambute (son bâton) et en fait jaillir une source, c’est à Moïse qu’il faut sans doute le comparer, et de fait son œuvre civilisatrice peut certainement l’assimiler au plus grand des conducteurs de peuples que l’Éternel ait suscité.

Bien d’autres faits hagiographiques mériteraient d’êtres étudiés plus en détail : le pouvoir sur la pluie et sur les vents entre autres. Mais ce haut pouvoir thaumaturgique, pour ma part, me fait penser à une autre filiation, celle des druides, à l’archétype druidique Merdwin….


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