Ils parlent de William Beckford... Souvenirs imaginaires...
Grâce à des textes parfaitement imaginaires écrits récemment par quelques passionnés de la vie et de l'oeuvre de William Beckford, laissez-vous conduire à travers l'Europe des XVIIIème et XIXème siècles à la rencontre de cet homme hors du commun. |
Le Marquis de Marialva |
Que vous m'avez peiné, Monsieur Beckford, lorsque vous avez décidé de quitter le Portugal ! Ma famille entière était attachée à vous par des liens si profonds ! Moi, Don Diego de Meneses, 5ème Marquis de Marialva, Grand Écuyer de la Reine, j'avais, je l'atteste, tout mis en oeuvre pour favoriser votre présentation officielle à notre Reine, présentation sans laquelle, je le sais mieux que quiconque, vous ne pouviez mener à Lisbonne une vie digne de votre rang puisque totalement exclu de la Cour Royale. J'ai tout fait pour contrer les manoeuvres politiciennes de Monsieur Walpone, ambassadeur de votre pays au Portugal, qui s'oppose à cette présentation officielle à notre Souveraine à cause du scandale qui vous a fait fuir l'Angleterre. Je vous avais même promis de vous accorder la main de ma fille, Dona Henriqueta, si vous acceptiez de renoncer à cette patrie qui vous maltraite si injustement et de vous convertir à la religion catholique pour laquelle votre penchant est si grand. Vous représentez pour nous, Monsieur Beckford, une illustration nouvelle de la noblesse de coeur et d'âme, la façon dont vous savez recevoir et entourer vos hôtes des plus charmantes attentions dans un luxe chaleureux propre aux gens du Nord de l'Europe est pour nous un émerveillement. La musique qui vous entoure sans cesse est un enchantement qui n'a d'égal que le plaisir de vous voir animer ces soirées en chantant et en dansant d'excellente façon. Qui peut résister à votre entrain et à votre bonne humeur, Monsieur Beckford, quand vous décider d'enrôler vos hôtes dans le jeu de vos cabrioles et de ces entrechats dont vous seul avez le secret ? Vous avez même, patiemment, réussi à donner quelque joie à mon jeune fils, Don Pedro, qui se plaît tant en votre compagnie. Et, l'autre soir, on aurait "cru le petit Penalva ensorcelé à le voir (vous) suivre partout, le visage illuminé de sourires et n'ayant d'yeux que pour (vous)"! Cette joie de vivre, Monsieur Beckford, est votre vraie nature même s'il est vrai que votre deuil est tout proche encore comme je l'ai remarqué lorsque nous nous sommes promenés sur les rives du Tage sous les murs du jardin de Marvila. Votre épouse, Lady Margaret, est décédée il y a tout juste un an et je sais que le jour de notre promenade, "la vaste étendue des flots, le firmament diapré, la fraîcheur de l'air, l'apparence bleuâtre des montagnes dans le lointain, (vous) rappelèrent le lac de Genève comme les tristes événements qui accompagnèrent la perte de celle que (vous avez) chérie plus que (votre) vie." Priez-vous pour elle, Monsieur Beckford, quand vous vous prosternez avec tant de dévotion et ce, en toute occasion, devant le patron de notre beau royaume du Portugal : Saint Antoine de Padoue ? Priez-vous pour elle, ou bien pour vous ? Pour vous qui, "il y a 3 ans (avanciez) alors sur la voie triomphale de la gloire et du succès, courtisé par Pitt, caressé par ses partisans, honoré, porté aux nues par (vos) cousins d'Ecosse..." , sur le point de faire une brillante carrière politique comme votre père ? Priez-vous pour vous, Monsieur Beckford, qui en si peu d'années avez connu tout à la fois la déchéance sociale et la perte de celle qui, avec tendresse, douceur et gaieté, partageait votre exil ? Vous aimez la musique, l'opéra et le théâtre, la peinture et les objets d'art. Vous avez goûté avec beaucoup de profondeur l'architecture de nos monastères au point de faire germer l'idée d'en construire une réplique dans votre lointain domaine de Fonthill. Vous aimez la société des êtres cultivés. Vous aimez la vie, Monsieur Beckford. Nul doute que Saint Antoine vous entende et que la vie vous comble à nouveau de ses grâces. Et nous rirons encore comme vous nous avez fait rire au lendemain de cette soirée au plus grand théâtre de Lisbonne en nous faisant partager les réflexions que vous aviez, au retour, confiées à votre journal. Souvenez-vous, Monsieur Beckford, ce sont vos propres mots : "Le théâtre m'a causé plus de dégoût que de plaisir. La salle est basse de plafond, étroite et la scène constituée par une simple galerie. Quant aux acteurs, car il n'y a pas d'actrices, ils sont au-dessous de toute critique. Sa Majesté, la piété et la prudence personnifiées, a fait chasser les femmes de la scène et donné ordre qu'on les remplace par de jeunes gaillards aux mollets avantageux. Jugez du plaisant effet de cette métamorphose quand apparaît dans un ballet une énorme bergère, aux clavicules saillantes, au menton bleu de barbe, vêtue de blanc virginal; coiffé d'un minuscule chapeau perché de guingois que relève une guirlande de roses, ce gracieux coryphée étreint un petit bouquet dans une main capable d'abattre d'un seul revers Goliath en personne. Tandis qu'il se meut sur la scène à pas de géant, il est suivi d'une troupe de bergères qui à chaque entrechat font voler leurs jupons par-dessus la tête. Jamais je n'ai vu et j'espère ne jamais revoir gens se démener, se vautrer, gigoter et jouer de la prunelle avec tant de ridicule." Je dois avouer qu'à la première lecture, j'étais un peu froissé du jugement que vous portiez sur notre théâtre, mais lorsque vous nous avez décrit, avec tout l'enthousiasme que vous savez déployer pour ce qui vous est cher, les spectacles auxquels vous aviez assisté tant en Angleterre qu'en Italie, j'ai compris, conquis, et j'ai ri avec vous. Que vous m'avez peiné, Monsieur Beckford, lorsque vous avez décidé de quitter le Portugal ! Ma famille entière était attachée à vous par des liens si profonds ! Puisse Saint Antoine de Padoue, notre saint patron, veiller sur vous chaque jour que Dieu vous accordera ! |
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