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Honoré de Balzac
II - Thèmes martinistes chez Balzac
D - La science
Limites de l’intellect - recherche unitaire
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Limites de l’intellect - recherche unitaire
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Cet article s’inscrit dans le cadre d’une vaste étude intitulée "Balzac et le Martinisme". Pour en consulter le plan. Pour revenir à la page précédente... L’intellect mauvais est diviseur et analytique, les gnostiques eux cherchent une science de l’Unité. L.C. de Saint-Martin s’en est pris avec vigueur aux excès d’intellectualisme de ses contemporains, notamment bien sûr, les encyclopédistes qu’il fustige avec humour dans sa nouvelle "Le Crocodile". Dans son oeuvre, "L’Homme de Désir", il fait sans cesse appel à la simplicité. "Nations, la science vous a desséchées. Ouvrez votre âme à la joie pure et à l’innocence, la science n’en sera pas moins prompte à vous éclairer". Il ne faut pas voir là une apologie de l’obscurantisme religieux, la foi aveugle n’est jamais une attitude d’illuministe. Le culte de la science seul est dénoncé, qui revient à confondre le moyen et le but. Le véritable siège de l’intelligence n’est pas le cerveau mais, comme le pensaient les anciens Egyptiens, le coeur. Pour Saint-Martin, la véritable intellectualité est Amour. "Dans Dieu, c’est l’amour qui donne la forme à la science. C’est l’amour qui a produit la science, et ce n’est pas la science qui a produit l’amour. Ecoute l’intelligence de ton coeur. Si Dieu retire son amour, il n’y a plus de science pour l’homme parce que c’est l’amour qui a produit la science, et ce n’est pas la science qui a produit l’amour". Ce divorce entre l’amour et la science, c’est la trame du roman "La Recherche de l’Absolu". Balthazar Claës sacrifie la vie et la fortune de son épouse Pepita pour la science. La science est une véritable rivale qui mine le couple et ruine le foyer. Pourtant, derrière cette passion scientifique, il y a un amour incommensurable des siens qu’il veut couvrir d’or en trouvant la pierre philosophale. La science, si elle se pose comme un Absolu, peut mener à Dieu à condition qu’elle soit autre chose qu’une accumulation horizontale de faits et de lois, mais qu’elle soit une recherche du principe unitaire dans la nature. "L’absence d’unité dans les travaux scientifiques annule tous les efforts" écrit Lambert à son oncle. Dans la science sociale, l’initié recherche les lois générales exprimant l’harmonie du Tout Social, le principe qui est dans la Synarchie. Dans la recherche historique, il faut trouver le moteur du Destin. La recherche unitaire peut être menée dans la matière elle-même. C’est la tentative de Balthazar Claës. Nous pouvons souscrire totalement à ce qu’écrit Raymond Abellio dans sa préface de "La Recherche de l’Absolu", car ce grand gnostique contemporain nous confirme dans l’opinion du modernisme étonnant de la philosophie de Balzac en dépit des apparences. Quant à l’utopie scientifique, on se gardera de même d’en méjuger, même si Balzac parait moins bien connaître la chimie que les lois de successions sur les biens des mineurs sur lesquels ses notaires sont incollables. Sa science est un mélange syncrétique d’alchimie traditionnelle et de spiritualisme martiniste et swedenborgien. Prenons garde, cependant, que de telles affirmations sur l’unité de la matière rendent un son tout à fait moderne ou encore que les intuitions de Swedenborg sur la réalité du monde invisible sont aujourd’hui confirmées par des expériences positives, sans compter qu’il n’est pas interdit d’attendre une prochaine renaissance de la médecine spagirique. Repris en langage moderne, tous ces thèmes de Balzac philosophe sont moins démodés qu’on ne croit. La tentative contemporaine menée par Sri Aurobindo et sa compagne, surtout consignée dans L’Agenda de Mère (1959-1973) par le disciple Satprem, vise précisément cette recherche de l’Unité de la Matière, une matière par conséquent totalement spiritualisée. Ce travail est continué aujourd’hui par une jeune indienne qui vit en Allemagne, Avatar de la Mère Suprême, Mère Meera. Il s’agit d’immortaliser le corps physique, le secret c’est l’Unité de la Matière. La recherche alchimique est la poursuite de ce secret, elle doit permettre à l’homme d’être co-créateur avec le Divin comme avant la chute. Le parachèvement total du Grand Oeuvre est la résurrection de la chair, résurrection dans une chair glorieuse. Pour cette étape surtout, l’adepte est entravé par l’ensemble du corps de l’humanité. Ces considérations sont loin d’être étrangères aux recherches philosophiques de Louis Lambert, comme en témoignent les deux derniers aphorismes XXI et XXII (22 est le nombre des lames majeures du Tarot, celui des lettres de l’alphabet hébraïque, et le nombre de polygones réguliers qui rentrent dans le cercle, etc.). XXI - "Aussi peut-être un jour le sens inverse de ET VERBUM CARO FACTUM EST sera-t’il le résumé d’un nouvel évangile qui dira ET LA CHAIR SE FERA LE VERBE, ELLE DEVIENDRA LA PAROLE DE DIEU". XXII - "La résurrection se fait par le vent du ciel qui balaie les mondes. L’ange porté par le vent ne dit pas " Morts, levez-vous !". Il dit : "Que les vivants se lèvent !". Le sujet de l’immortalité est assez présent dans l’oeuvre de Louis Claude de Saint-Martin. Dans "Le Ministère de l’Homme Esprit" notamment, il insiste beaucoup sur le sentiment d’immortalité inhérent à l’homme de désir qui se souvient de sa condition primitive. "Oui, il y a sans doute une nature éternelle, ou tout est plus régulier, plus actif et plus vivant que dans celle où nous sommes emprisonnés" ... Saint-Martin fait une distinction entre Nature et Matière. Il faut donc mourir à cette nature, aux habitudes de cette matière pour renaître dans un légitime désir d’immortalité. "Mais en travaillant à nous rendre de nouveau "Images de Dieu", nous obtenons l’avantage inexprimable non seulement de faire disparaître par intervalle notre privation et notre dégradation, mais en même temps d’approcher et de jouir réellement de ce que les hommes avides de gloire appellent l’immortalité". La recherche scientifique est en fait une recherche des modes de manifestation de l’énergie de l’esprit et du principe unitaire et c’est ce désir qui anime Claës quand il veut décomposer l’azote. Les travaux de Lambert, sur ce que nous appelons aujourd’hui la parapsychologie, sont menés selon une orientation rigoureusement logique et scientifique. "Oui, l’examen de nos propriétés inconnues implique une science, en apparence matérialiste, car l’Esprit emploie, divise, anime la substance, mais il ne la détruit pas". La quête mystique ne repose pas sur de simples croyances mais sur l’étude méthodique des manifestations tangibles de l’Esprit. La Volonté est assimilée par Balzac à une force électrique. L’être intérieur participe de cette substance qui anime la matière sous une impulsion, soit divine, soit ténébreuse. L’objectif du gnostique illuministe est de rétablir l’ordre intellectuel ancien lorsque science et religion n’étaient pas séparées. Il faut pour cela retrouver la Connaissance Traditionnelle qui a été au cours des âges, soit gardée et transmise sous le manteau, soit perdue. Lambert s’inspire de Mesmer, lui-même émule de Lavater avec la physiognomonie, qui fut aussi suivi par Gall et sa phrénologie. Il retrouve à leur suite la science cachée. "Jadis cachée au fond des mystères d’Isis, de Delphes, dans l’antre de trophonius" nous dit Balzac. Lambert mène une enquête à travers l’histoire pour amasser les faits surnaturels, les classer et essayer d’interpréter selon une démarche tout à fait scientifique. La théorie qu’il émet des antipathies et sympathies est une application des lois d’attraction et répulsion étudiées par les rosicruciens. Elle explique les convulsions de Bayle, les fièvres d’Erasme, les phobies animales de Henri III et du Duc d’Epernon, les extases de l’Imperator Rose-Croix, le chancelier Francis Bacon, lors de la pleine lune. Louis Lambert trouve un lien entre toutes les observations et les recherches de Gall et Lavater. De même, le principe selon lequel toute action extérieure n’est que la réaction d’un mouvement intérieur de la Volition Idée lui sera confirmé par les travaux de Bichat sur le dualisme de nos sens extérieurs. Les références scientifiques sont fréquentes chez Balzac, il s’intéressait particulièrement, semble-t-il, aux savants "non orthodoxes ayant des préoccupations métaphysiques". Il s’intéressait, par exemple, au savant mathématicien polonais Wronski, son contemporain, qui se livrait à une véritable recherche de l’absolu à travers sa discipline. Dans "La Recherche de l’Absolu", l’adepte polonais qui héberge Claës est à l’origine de sa passion pour la science. Il l’a nommé Adam de Wierzchownia, nom du domaine ukrainien de Madame Hanska. Est-ce à dire que Balzac considérait Madame Hanska comme sa materia prima ? Le modèle de ce personnage peut bien être Wronski. Dans "L’Envers de l’Histoire Contemporaine", le vieux médecin juif Halperson est comparé à Wronski par le père de Vanda. "La Pologne a souvent fourni de ces êtres singuliers, mystérieux, dit l’ancien magistrat. Aujourd’hui, par exemple, outre ce médecin, nous avons Hoëné Wronski, le mathématicien illuminé, le poète Mickieviez, Tovianski l’inspiré, Chopin au talent surnaturel". Le médecin tiendrait aussi du docteur Koreff, juif allemand installé à Paris, et affilié à des sociétés secrètes. Le docteur Knothé, médecin de Madame Hanska peut aussi être un modèle de ce personnage et nous retrouvons un lien avec l’adepte polonais de la "La Recherche de l’Absolu", puisque ce médecin fut enseveli à ..... Wierzchownia. "La Recherche de l’Absolu" est écrit en 1834 alors que Madame Hanska est devenue la maîtresse de Balzac, il lui écrit à propos de Wierzchownia : "...vous ne sauriez croire comme ce nom imprimé me fascine." Nous touchons ici au pouvoir des mots dans "La Comédie Humaine". Balthazar Claës est engagé dans la malédiction de l’intellect mauvais. Son orgueil repère l’erreur de la chute, il veut créer à partir de lui-même sans Dieu. Son maître s’appelle Adam, ceci est symbolique : Je fais des métaux, je fais des diamants, je répète la nature !, s’écria-t-il. – En seras-tu plus heureux ? cria-t-elle avec désespoir. Maudite science, maudit démon ! Tu oublies, Claës, que tu commets le péché d’orgueil dont fut coupable Satan. Tu entreprends sur Dieu. – Oh ! Oh ! Dieu ! – Il le nie ! s’écria-t’elle en se tordant les mains. Claës, Dieu dispose d’une puissance que tu n’auras jamais. A cet argument qui semblait annuler sa chère science, il regarda sa femme en tremblant." Dans cette escarmouche entre les deux époux, c’est Madame Claës qui a le dernier mot, elle qui est la femme, l’amour incarné, le dévouement, la foi. Elle soutient à son mari que jamais la science n’expliquera l’intuition qui vient aux femmes et qui leur fait deviner l’avenir. Balthazar sera confondu dans sa superbe, car seul le hasard produira dans l’athanor le diamant tant convoité, le mystère de la création perdu à jamais.C’est la victoire du hasard, de l’impondérable, de la fatalité du destin, c’est-à-dire de ce qu’il a voulu ignorer. "Oh, Dieu". Les recherches de Claës cependant sont à la frontière d’une authentique science hermétique. Ses données théoriques sont conformes à la tradition. L’unité de la matière, la substance, les manifestations du Grand Ternaire (ou loi du Triangle), les quatre principes, l’électricité positive et négative sont des notions propres à la science rosicrucienne que Balzac expose aussi du Louis Lambert surtout dans les aphorismes très denses en connaissance ésotérique. Ce ne sont pas les connaissances théoriques qui font défaut à Balthazar, mais c’est un manque de foi et de vertu morale qui l’empêche d’être un véritable alchimiste. Le récit est très symbolique, car ces vertus sont l’apanage de sa femme dont il s’éloigne et que, involontairement, il tue. Les événements extérieurs correspondent à une situation intérieure. Le Mutus Liber montre bien que la quête alchimique se fait en couple. [1] Le côté maléfique du mental est lié à la chute qui est division et complexité. Le problème de la chute est évoqué différemment dans toutes les traditions religieuses. Le point de vue illuministe cependant semble concilier le christianisme et l’hindouisme, par exemple, en mettant l’accent sur le rôle pernicieux du mental. [2] Balzac n’était pas un alchimiste opératif, ni un mage, ni un yogi, mais il pratiquait une forme d’alchimie mentale basée sur une méditation sur les mots associée à une pénétrante réflexion sur le langage. La critique martiniste de l’érudition encyclopédique, pourrions-nous dire en conclusion, est toujours d’actualité, elle serait plus que jamais justifiée. Il n’est que de constater la regrettable incompréhension dont fait preuve l’Encyclopedia Universalis dans l’article où elle traite de la théosophie et du mouvement théosophique de H.P. Blavatsky et Annie Besant, ou du rosicrucianisme. Il y est donné des informations aussi peu objectives que fausses et marquant la totale incompréhension d’un sujet que l’on a fait semblant d’étudier. Mais que l’on y cherche bien, on trouvera peut être dans cette encyclopédie la formule pour décomposer l’azote qui manquait à Balthazar Claës ! |
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[1] Dom Pernety dans son dictionnaire mytho-hermétique : "Les chimistes hermétistes ont donné aussi ce nom à l’union du fixe et du volatil dans le temps de leur mélange avant la sublimation, c’est le mariage de Beya et de Gabertin, du frère et de la soeur, du soleil et de la lune, et dans le temps de l’union parfaite qui se fait par la sublimation c’est le mariage du ciel et de la terre d’où sont sortis tous les dieux des païens." [2] Pour Douce Mère, la compagne de Sri Aurobindo, d’après son expérience intérieure, le paradis terrestre a bien existé.. Nous pouvons lire en effet dans l’Agenda : |
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