Saint Colomban et le monachisme du 7e siècle Le monachisme Irlandais et Colombanien Ce sont souvent les aspects les plus durs, tels les châtiments corporels qui sont retenus comme singuliers de ce monachisme. Il est pourtant dautres points qui méritent attention. Les centres monastiques dIrlande se sont formés à partir de la famille (muintir qui donnera moutier), de la tribu et du clan. Laspect extérieur du monastère celtique rappelle celui de la laure palestinienne. Lorganisation des communautés est en fait un groupement dermitages à lintérieur dune clôture autour dune église (1). Elles sont sous lautorité dun abbé qui est avant tout un maître spirituel au sens fort. Cette autorité absolue est librement acceptée par ceux qui sengagent à sa suite. Le rôle de labbé est considérable ; il est le chef du clan monastique, cest-à-dire de la fondation et de toutes les filiales. Son nom a une large acception ; ainsi le pape est labbé de Rome et même le Christ est parfois nommé le Grand Abbé. Il est bien au-dessus des évêques quil a charge dordonner. Les règles sont diverses mais la même sensibilité semble présider à leurs rédactions (lorsquelles sont écrites). Les monastères sont le centre de la vie spirituelle locale. Ce sont également des foyers de vie culturelle ; outre les écritures sacrées, on y étudie les sciences profanes : la poésie, la musique. Lenluminure et la calligraphie y sont à lhonneur. Les légendes celtes seront pour la plupart sauvées par ces moines cultivés qui fourniront ainsi le seul matériel disponible pour reconstituer la culture et la religion de ce peuple. Paradoxalement cest à ces moines que lon doit la conservation du latin pur. En Irlande, on parle celte, contrairement à la Gaule où la langue vulgaire est un latin qui avec le temps et les invasions a dégénéré. Ils conserveront aussi le grec ancien et la philosophie de cette brillante civilisation. La liturgie Mais les différences avec le monachisme continental se situent à un niveau plus profond. Toute la conception de la liturgie est différente et révélatrice dinfluences non romaines ; les offices sont beaucoup plus longs, coupés de nombreuses prostrations et génuflexions. La psalmodie prime ; il nest pas rare que le moine récite le psautier en entier chaque jour. Elle se fait en alternance. Une place importante est laissée à la prière, conçue comme un moment de paix extatique, de louange et de rapport avec le Créateur. Les litanies des Saints sont fréquemment dites, et constituent souvent le début de la messe conventuelle. Les moines ont un rôle missionnaire qui les oblige à dire leucharistie dans les campagnes sur des autels portatifs, pour la communion, ils se font aider des femmes qui distribuent le Corps du Christ. Dans certaines liturgies irlandaises, le prêtre se livre à une sorte de danse sacrée devant lautel ; il avance et recule alternativement par trois pas en avant et en arrière. Le credo aussi est particulier. Cest semble-t-il dans certains des monastères celtes que naîtra lidée de la prière continue ; des churs de moines assurent une louange perpétuelle en se relayant. Les fêtes Nous avons vu avec la vie de Saint Colomban que la date de la Pâque posait problème. Ce nétait pas la seule car les gallicans avaient leurs saints propres et donc des dates pour les fêter. Les saints les plus particulièrement honorés étaient Saint Jean le Baptiste, Saint Jean lÉvangéliste, Saint Michel et saint Patrick. Dans un des nombreux conciles où est évoqué le comput de la Pâque, celui de Witby en Northombrie (664), le porte-parole du parti romain se réfère à Pierre en tant que garant de la tradition de léglise de Rome. De lautre bord, Colman représentant la tradition dite de Saint Colomban fait référence à léglise de lapôtre Jean. La question du roi Oswiu, qui doit se faire une opinion, est éclairante sur létat du problème : il demandera aux évêques en présence de lui indiquer qui de Pierre ou de Colomban a la préséance. Au travers de ces détails, on comprendra que nous sommes en présence dune église qui se laisse inspirer par la spiritualité johannique. Le devoir d'exil Est-il né de la surabondance de vocations religieuses, (certains couvents dIrlande et dEcosse comptèrent plus de mille moines) ou de la tendance des Celtes au voyage ? Il est certain en tout cas que ce fut le facteur le plus important de la christianisation du nord de lEurope et de re-christianisation de la Gaule, du nord de lEspagne et de lItalie. Lexemple de Columba (autre moine originaire dIrlande qui ne sera pas canonisé) est significatif des coutumes en la matière. Ayant réuni douze disciples il sagenouille pour recevoir la bénédiction de son abbé et invoquer "maris Stella", puis sembarque et se laisse porter au gré du vent dans la direction que Dieu choisira, car Lui seul sait où est le besoin. Il aborde ainsi dans un petit archipel à louest de lEcosse dans lîle dY ou Hy, depuis connue sous le nom de Iova ou Iona. Il y plante ses cabanes, mais avant toute chose, pour bien marquer la prise de possession perpétuelle, un cadavre sera enseveli sur les lieux comme le veut la coutume. Labbé demande à Odran de bien vouloir rendre ce service à la communauté et le saint moine par devoir dobéissance rend sur-le-champ son âme à Dieu et laisse son corps à la fondation. Léglise du monastère sélèvera sur son tombeau. Il faudrait pouvoir citer tous les Saints de cette église dIrlande et de Bretagne qui débarquèrent ainsi durant quatre siècles environ sur notre continent, lévangélisèrent et lui redonnèrent la culture et la civilisation. Parmi les plus connus citons Saint Malo, Brieuc, Wandrille, Gall, Waast. Et chez les successeurs de Saint Colomban : Saint Ouen et Saint Eloi qui furent des conseillers du roi Dagobert. La vêture et la tonsure Autre point remarquable, pour les continentaux, les moines insulaires étaient vêtus de grandes robes blanches sur lesquelles ils portaient la cuculle, (telle que la porte encore de nos jours les Chartreux) en laine bourrue qui était, lorsque cela était possible, teinte en blanc. Mais ce qui frappait le plus les Gaulois était sans conteste la tonsure particulière des frères. La mode romaine exigeait soit la rasure totale dite de Saint Paul, ou bien la couronne dite de Saint Pierre. Les Celtes, eux, ne démordaient pas dune tonsure en croissant, qui, partant dune oreille à lautre, laissait les cheveux longs sur la nuque et un toupet sur le milieu du front. Lon disait que cétait celle de Simon le magicien et nul nignorait, en ce temps-là, que le dit Simon avait été le chef des Druides (qui effectivement portaient la tonsure incriminée). L'ascèse Le végétarisme est absolu (à peine un peu de poisson les jours de fêtes et le dimanche), les jeûnes fréquents. Un seul repas journalier composé de légumes et de céréales. Peu de sommeil et certaines règles autorisent les moines à dormir en marchant sils ne peuvent faire autrement et de naller au lit quen cas dextrême fatigue. Dailleurs on se couche tout habillé sur des paillasses. La propreté est par contre en grand honneur et lon se lave très fréquemment (2). Beaucoup de travail, pas seulement intellectuel, car les frères essartent et cultivent les terres dont ils vivent et font vivre les pauvres. Obéissance inconditionnelle à labbé, maître spirituel. La pratique de la confession communautaire et de la pénitence par des châtiments corporels. La lutte contre le péché peut conduire certains à plonger en plein hiver dans des torrents de montagne et y réciter un psautier pour rafraîchir les ardeurs de la chair. Certains châtiments semblent ressortir dune optique différente de la simple pénitence comme le sommeil (?) dans un tombeau en compagnie dun cadavre (ce qui nest pas sans rappeler certains écrits des pères du désert ou certaines pratiques initiatiques communes à toutes les Traditions ésotériques). Lusage journalier de la confession est très répandu. Lhospitalité est un devoir sacré en pays celte et surtout dans les monastères. Il nest pas rare de voir labbé en personne venir solennellement au-devant dun humble pèlerin, et ils sont nombreux dans ce monde itinérant. Tous sont reçus et font lobjet dune attention particulière. Il existe également des monastères féminins, mais en moins grand nombre. Ils ne cèdent en rien à la rigueur des abbayes masculines et certains dentre eux seront également des foyers de sainteté, pour mémoire nous ne citerons que Sainte Brigide de Kildare (fin du Ve siècle). Les moines pratiquaient aussi la vie solitaire, lorsque leur abbé les aura jugés, sur leur comportement conventuel, dignes de mener cette forme de vie supérieure. Les anachorètes se retirent alors dans des grottes, des cabanes ou des îlots ; cest le disert ou en breton le peniti. Ils passent sous le contrôle dun disertach, supérieur des ermitages nommé par labbé. Cette anachorèse peut être temporaire ou définitive selon les cas.
(1) - On trouvera des ermitages, des églises et des clôtures de forme circulaire. Tel celui dAbingdon où le monastère primitif mesurait 120 pieds de diamètre. Il comptait douze cellules et douze églises toutes circulaires. Ceci nous donne une idée de limportance de la symbolique du cercle et du nombre douze pour les moines celtes. (Retour au texte) (2) - Les Celtes étaient les inventeurs du savon bien avant lère Chrétienne. (Retour au texte)
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