Monsieur,
Je tiens à apporter quelques précisions au sujet de la civilisation celtique. Ce que vous dites à ce sujet n’est pas tout à fait faux, mais il existe dans votre texte quelques erreurs.
"L’Irlande est une île, je ne vous apprends rien je pense ? Ce pays de légende est même "Ultima Thulé" la dernière terre habitée au large de l’Europe. Et son paysage ne ressemble à nul autre. Elle fut peuplée au premier siècle avant notre ère par les Gaëls, Celtes qui prirent le dessus sur un peuple lui même venu de l’orient, le peuple adorant la grande Déesse Mère Danann, les "Tuatha de Danann". Cette déesse intégrera d’ailleurs le panthéon celte. En dehors de l’archéologie nous avons le témoignage des navigateurs grecs ayant fréquenté ses côtes en ces temps préchrétiens."
Le nom "Ultima Thulé est en général attribué à l’Islande, et non à l’Irlande. On ignore quand l’Irlande fut peuplée par les Gaëls, mais le premier siècle avant notre ère est beaucoup trop tardif. On n’a la trace d’aucun mouvement de population à cette époque. Les Tuatha Dé Danann ne sont aucunement un peuple historique, mais l’expression évhémérisée par les moines chrétiens des anciennes divinités celtiques. De plus, dans le mythe celte, les Tuatha Dé Danann ne viennent pas d’orient, mais des Îles au Nord du Monde.
"La femme joue un rôle de premier plan dans cette société ; elle combat avec et parfois devant les hommes ; c’est à elle qu’appartient la terre et la maison, elle peut choisir son époux, (le mariage est généralement à durée limitée). Le roi lui-même ne doit son titre qu’au fait qu’il est le mari de la reine. "
La terre n’appartient pas à la femme. Le droit irlandais montre clairement que la terre appartient à l’homme. Seule la fille d’un homme décédé sans fils peut éventuellement en hériter. Par contre, il est vrai que la royauté s’exprime dans les mythes par le mariage du roi et de la terre, vue sous forme féminine. Ceci ne s’applique en réalité qu’à la royauté, et non à la possession de la terre.
"Cette civilisation qui s’épanouit en symbiose avec la nature, est pourtant techniquement très en avance puisqu’elle utilise le verre, connaît la charrue à roues ..."
Les Celtes ne sont pas plus "en symbiose avec la nature" que les autres peuples de la même époque. Il s’agit là d’une vision romantique, proche de celle du "bon sauvage".
Les dieux celtes sont des personnifications de forces naturelles ; tel Lug, suprême artisan dit le dieu "longues mains " qui est en fait un démiurge mettant de l’ordre dans le chaos. Il sera assimilé au Christ Pantocrator (voir à ce sujet l’iconographie romane où, comme à Vézelay le Christ en majesté est représenté avec des mains démesurément longues). Mais chaque source, chaque arbre a son dieu propre ; le chamanisme est présent et efficace. Le culte se pratique dans la nature, face au soleil, au vent et aux étoiles.
Lug est le dieu "à la longue main" (et non "aux longues mains"). Le chamanisme ne fait absolument pas partie de la religion celtique, malgré les théories de M. Markale.
"Le druidisme, structure sacerdotale, est organisé en collèges. Un maître y enseigne oralement, selon un mode mnémotechnique particulièrement élaboré : on psalmodie en alternance de très longs et très anciens poèmes qui contiennent toute la mémoire du peuple celte depuis la cosmogénèse jusqu’aux généalogies. L’écriture est connue mais peu employée car seule compte la parole vive : la lettre fige le verbe et le fait mourir. Cette caste connaîtra, au début de notre ère un déclin dû à l’abandon de ses traditions spirituelles au profit de la magie et de la divination, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle spiritualité : le Christianisme. Les romains redoutaient, outre la violence de la femme guerrière, l’efficacité de la malédiction du druide. (César ne s’est-il pas vu attaqué par une forêt, les arbres étant guidés par un Druide ?) L’organisation tripartite de la caste sacerdotale la divise en bardes, ovates et druides, sans que l’on puisse aujourd’hui savoir s’il s’agit d’une distinction hiérarchique ou correspondant à des spécialisations (1)."
Ce n’est pas César qui s’est fait attaquer par une forêt, mais un autre général romain, deux siècles auparavant, dans sa guerre contre les Gaulois cisalpins. La classe sacerdotale n’est pas divisée en druides, bardes et ovates. Ceci est une mauvaise interprétation de textes latins et grecs, reprise par les groupes néo-druidiques au XVIII° siècle.
"Il est important lorsque l’on parle de la religion de "nos ancêtres" (2) de ne pas omettre la grande déesse mère Danann qui en est l’élément central emprunté, nous l’avons vu aux autochtones conquis, et que nous verrons resurgir dans le christianisme sous bien des formes inattendues. (Dame Anne est, en effet issue de Bretagne, et St Bernard en fera la Ste Anne mère de la Vierge qui n’a aucun fondement biblique) La croyance en un au-delà accueillant les défunts et en la métempsycose complètent un peu ce bref aperçu d’une religion encore mal connue."
Dana (et non Danann, qui est un génitif) n’est pas l’élément central de la religion.
"La spiritualité de l’Irlande doit beaucoup au génie propre du peuple celte que l’on décrit comme idéaliste, aventureux, enthousiaste et communicatif. Le christianisme s’épanouit naturellement en monachisme puisque cette structure religieuse préexistait. De fréquentes légendes nous rapportent l’histoire de collèges druidiques entiers se convertissant comme un seul homme, ce fait qui parait difficilement crédible à nos esprits modernes est pourtant dans la logique du temps et du lieu. La prise de position du chef spirituel suffisait pour que tout le groupe suive par obéissance.
"Quelles sont les références des textes montrant la conversion de collèges druidiques entiers au christianisme ?"
"(1) - Cette partie fait références aux travaux récents de J. Markale, M. Leroux et P.Guyonvach’.
(2) - Allusion humoristique à ce que l’école primaire française a véhiculé outre mer notamment sur un arrière fond de patriotisme exacerbé. "
Je ne connais pas M. Leroux ni P. Guyonvarc’h, mais Françoise Le Roux et Christian-J. Guyonvarc’h. Ces deux auteurs sont les références principales concernant la religion celtique, en particulier l’Irlande. Jean Markale, en revanche, n’a rien du "spécialiste" qu’il prétend être. Ses théories sont tout à fait personnelles et ne sont pas reprises par les universitaires.
Amicalement
Fergus Bodu, collaborateur du site l’Arbre Celtique