La traversée du désir
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18 Janvier 2012, Café Le Grand Colombier, Paris. Arkghan : Si vous le voulez Blanche nous pourions aujourd’hui discuter de vos trois essais afin de suivre l’évolution de votre vision de la vie avant que la philosophie Indienne ne rafle la mise en quelque sorte. Blanche de Richemont : Quand on a comme ça un chemin de passion, jusqu’à l’obsession, je pense que ça vient d’abord avant tous les autres désirs. C’est un désir, une voie intérieure. Avec les autres désirs c’est très difficile je trouve, de trouver l’équilibre, tous les autres désirs, les contingences matérielles, et autre ont du mal à trouver leur place face à ce désir ultime qui est presque un désir religieux. Le domaine des passions est presque celui du moine ou de l’ascète parce que tous les autres désirs s’annulent. Arkghan : Le désir d’écrire quand il s’empare d’un être va hiérarchiser tous les autres désirs ? Blanche de Richemont : Pas que l’écriture, la peinture, la sculpture, le chant. Arkghan : Vous avez écrit aussi de très belles pages sur Camille Claudel dans le dernier essai « Les passions interdites » Editions du Rocher 2009. Il faut avoir des obsessions mais les canaliser ? Blanche de Richemont : Oui, ça dépend lesquelles, cela dépend vers où elles vous mènent ; Une obsession c’est un esclavage et les êtres passionnés ne sont pas facilement libres. Arkghan : La surprise tient dans la grande variété des 16 portraits que vous brossez entre la passion scientifique, Oppenheimer et ses remords de conscience pour le projet Manathan, Galilée obstiné, celle du joueur Dostoïevski, du libertin Sade, la passion de la Justice d’Aun san Suu Ki. Blanche de Richemont : En fait j’ai fait un peu comme ce que je fais la plupart du temps dans ma vie. Je lis, je cherche et j’attends l’évidence. J’ai fait beaucoup de recherches et j’ai attendu d’avoir une rencontre. Chacun des personnages c’est quelqu’un dont j’ai eu envie de m’approprier l’histoire, j’aime qui il est, j’aime ce qu’il défend ou je l’aime pas mais ça m’énerve et j’ai envie d’en parler quand même. J’ai fait énormément de recherches et j’ai attendu le déclic. A chaque fois c’était une histoire d’amour, avec chaque personnage je pense que c’est nécessaire pour parler au cœur. Cela ne m’intéresse pas vraiment les biographies où on raconte juste la vie, cela m’ennuie. Arkghan : On n’est pas sur Wikipédia ! Blanche de Richemont : On n’est pas sur Wikipédia, j’ai cherché et quand il y avait une rencontre j’ai parlé avec le cœur, mais à la base je ne savais vraiment pas où aller comme pour chacun de mes livres. Pour moi rien n’est figé, réfléchi. Arkghan : Il n’y a pas de plan ? Blanche de Richemont : S’il y a un plan de toute façon il a été défait après. Arkghan : Quand vous avez commencé ce livre est-ce que vous vous êtes dit : j’en fait 16 ou je m’arrêterai à tel moment ? Blanche de Richemont : Non pas du tout, les choses se font spontanément. Vous cherchez et les choses se mettent en place d’elles mêmes. J’essaie d’être au plus juste et je vois ce qui vient. Même s’il y a un plan, très vite j’ai plein de signes qui me disent qu’il faut arrêter de vouloir enfermer tout dans des cases. Du coup je laisse surgir ce qui s’impose. Je fais ça avec chacun de mes livres et même dans ma vie. Ce qui me force à aimer des choses un peu bizarres parfois. Arkghan : Besson ? Blanche de Richemont : Non pas encore. Il paraît qu’il est très beau. Arkghan : Il est curieux que « Les Passions Interdites » soit votre dernier livre des trois car Éloge du désir est plus explicite. Blanche de Richemont : A partir du moment où l’on essaie de se connecter à sa propre nature, sa propre vérité il y a forcément des conséquences transgressives parce que les normes créées par la société, par les hommes sont faites pour vous... comment dire ... vous aplanir, vous mesurer. Arkghan : Vous formater on dirait aujourd’hui. Blanche de Richemont : Vous formater, donc du coup à partir du moment où on écoute son propre feu, on n’est pas forcément dans la norme et on bascule très facilement dans la transgression. La société n’aime pas ce qui a trop d’intensité et les passions trop puissantes. Les passions tombent forcément dans l’excès hors des lignes instaurées par la société. Arkghan : A propos du chapitre sur Sade, pourquoi d’après vous la société nouvelle qui naît avec la révolution Française ne fait pas mieux dans le traitement de la déviance et ce jusqu’à ce jour au fond car vous savez sans doute qu’une majorité de notre population carcérale est composée de délinquants sexuels et de plus nos prisons françaises ne sont pas exemplaires en matière de droits de l’homme. Blanche de Richemont : Je crois que de toute façon, à partir du moment où les hommes vivent entre eux régis par des règles normatives de frustrations et de déséquilibres, je ne crois pas que l’on puisse faire mieux qu’avant. Arkghan : Dans Éloge du désir vous donnez aussi une analyse de ce problème. Un peu à la manière de Michel Foucault vous dévoilez la fausse libération des mœurs des sociétés modernes. Je pense à ce passage où vous citez « La tyrannie du plaisir », l’essai de Jean Claude Guillebaud. Blanche de Richemont : Ma mère dit souvent : « Heureusement qu’il y a des places interdites car sinon on ne pourrait jamais se garer. » Derrière cette phrase anodine pour moi il y a toute une philosophie de la transgression parce que finalement grâce aux places interdites on a un espace libre. On a besoin d’interdiction sinon on ne trouve jamais où se garer c’est à dire que l’on a besoin d’une structure par rapport à laquelle on peut se définir soi même. Ils sont nécessaires pour mettre à l’épreuve votre confiance. Il n’y a pas un chemin initiatique qui ne soit jonché d’épreuves, d’étapes, d’obstacles. On ne grandit jamais sans les obstacles. Quand on a des chemins difficiles les premiers obstacles nous permettent de savoir si c’est là où on veut aller. Arkghan : Vous citez quelques formules percutantes assez Nietzschéennes sous votre plume « Vivre est une esthétique », « Nous n’avons pas besoin de repos », et vous ajouter « mais de nuits blanches, de fous rires, de coups de foudre, de rencontres authentiques, ce ne sont pas les massages, les méthodes zen et les guides spirituels qui vont raviver la flamme qu’une nuit d’amour, une bonne tempête, l’apprentissage de la faim et de la soif dans le désert. » Notre force de vie, malgré les attentes et les errances consiste à tout réinventer à ne jamais renoncer, à « s’émerveiller de ce formidable désordre. » Votre énergie de vie, votre élan vital se paie une petite griffe au passage sur le dos du monde du bien être. Blanche de Richemont : Ce monde souvent m’ennuie. C’est ce que je disais hier à mon amoureux... parce que je vis cela, je fais du yoga, je ne mange pas de viande, j’ai une vie de légumes vapeur mais j’ai une mentalité de steak et poivre ! C’est à dire que vous pouvez vivre ce que vous avez envie mais l’important c’est de vivre les choses intensément. C’est bien plus rigolo les gens qui vont prendre un bon steak au poivre avec du vin rouge que ceux qui vont prendre du cabillaud vapeur avec un verre d’Evian. C’est juste que l’on commence à entrer dans une psychose du bien être qui commence un tout petit peu à m’irriter profondément. C’est une autre tyrannie du bien être. Arkghan : Permettez-moi de reprendre votre citation de JC Guillebaud « Pour un chrétien espagnol du XVIe siècle, les embrasements du désir étaient établis par des calendriers qui notaient la date, l’heure. » Loin du sans contrainte on retrouve ici la discipline que l’artiste s’impose avant de trouver une jouissance et une liberté dans la maîtrise de son art. Blanche de Richemont : Picasso avant de faire un dessin qui ressemble à un dessin d’enfant a une technique magistrale de la peinture et du dessin, c’est un point d’appui. Arkghan : Une citation de « Eloge du désir » « Les Muses décident » : Blanche de Richemont : Oui, c’est toujours comme cela que je fonctionne. Plus j’avance et moins je trouve que la volonté n’a de force, c’est plutôt la spontanéité qui est juste. Je ne sais jamais quand je me mets à écrire, ce qui va se passer. Je ne sais jamais ce qui va être dit, si je vais y arriver, ne pas y arriver. Je pense que le premier pas de la maturité c’est d’accepter cela, accepter qu’on ne maîtrise pas. Ce n’est pas entre nos mains. Arkghan : Dans « Éloge du désert » vous citez beaucoup de philosophes, Blanche de Richemont : Pour ma lignée philosophique c’est assez simple : Nietzsche a été un maître pour moi, surtout « Ainsi parlait Zarathoustra ». Découvrez la suite de cet entretien : Harmonie dans la fusion des contraires ou les paradoxes de la Lumière Safran. |
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