Et on est devenu copains !
J’aime mieux dire ici ma certitude : si l’initiation est monde hermétique, élitiste, fermé, un chemin dérobé, une démarche rigide qui peut impliquer une certaine aridité et une incontournable solitude, si le visage de l’initié est à jamais caché, n’oublions pas que cela n’a pas dû être difficile pour les êtres sensibles et réceptifs qui ont pu l’approcher au cours de sa vie de « devenir copain » avec Jean-Pierre Bayard, ce grand initié.
Ce visage s’offre sans détour et ses mots sont une fête du langage, de l’intelligence et de l’esprit, ils invitent à une communication totalement naturelle.
Avec une retrouvaille de 15 ans et deux après midis seulement en sa compagnie, je me demande comment on peut ne pas « devenir copain » avec lui.
Bien des questions ont été soulevées ensemble et éclairées à la lumière de son bon sens, de son érudition et de sa sagesse mais il est bien certain que ce que nous en avons dit n’a rien d’exhaustif, ni de définitif. Il va de soi que nous avons eu à cœur de mettre à l’honneur un auteur, mais aussi un grand et noble courant de la Tradition à savoir la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage.
Je reste encore avec mes interrogations n’ayant pas rendu les armes sur certains sujets même s’il a su être convaincant. Par exemple : est-ce que malgré tout la mixité n’est pas une évolution inévitable et nécessaire dans les sociétés initiatiques ? Peut-être que oui, mais en tous cas, il y a une vérité dans les convictions de Jean-Pierre Bayard sur la distinction des sexes et je me dis que cette distinction doit être exprimée d’une façon ou d’une autre au sein de ces organisations même mixtes si elles veulent rester Traditionnelles et Initiatiques.
La Franc-Maçonnerie, il m’en donne la conviction, représente pour demain une voie privilégiée d’épanouissement spirituel de l’homme et de la femme et d’émancipation véritable, et tout en restant Traditionnelle, elle ne peut que s’adapter au monde car de tous temps, les initiés ont été dans ce sens-là, modernes.
Si, pour René Guénon, la Franc-Maçonnerie est avec les trois grandes religions monothéistes l’une des expressions authentiques de la Tradition Primordiale maintenue aux occidentaux pour les temps de fin du cycle, c’est qu’à son avis, l’Occident, depuis la Renaissance qui va rompre avec le Moyen Age, ne fait que s’abîmer dans la perte des clés de la Connaissance pour se livrer à un savoir phénoménal matérialiste où il s’écarte de plus en plus de la Gnose à jamais à l’Orient dont la compréhension lui échappe.
Que tous les Maçons « sachent ce qu’ils font », ce n’est certainement pas le cas et Jean-Pierre Bayard l’admet. Son Obédience, la Grande Loge de France, plus en retrait que les autres en France, est certainement un lieu privilégié de préservation de la Connaissance.
Certains auteurs pensent que la Franc-Maçonnerie ne dispose pas des véritables arcanes dites Arcana Arcanorum ayant trait à l’alchimie par exemple à moins de se faire initier dans certaines branches très minoritaires comme celles qui pratiquent le rite Memphis Misraïm, et c’est là une question que j’aurais pu poser à notre ami mais ses livres comportent sa réponse car je crois que, lui, sait bien voir le symbolisme alchimique dans la Franc-Maçonnerie qu’il pratique.
En tous cas, je suis étonné que l’on ait pu envisager à certaines époques au XXe siècle de faire des grands regroupements de sociétés initiatiques sans faire une large part à la Franc-Maçonnerie ou même en voulant l’exclure.
Pour le Maître Djwhal Khul, dit le Tibétain, qui inspira les ouvrages d’Alice Bailey, fondatrice de l’Ecole Arcane, son cérémonial contient, caché, le maniement des forces en rapport avec le développement et la vie, règnes de la nature et épanouissement des aspects divins en l’homme. C’est en son sein, de même qu’au sein de l’Eglise et du monde de l’Education, que se trouvent la plupart des serviteurs qui se préparent à jouer un rôle dans la mise en place du monde nouveau.
La question de l’affaiblissement de son efficacité occulte résultant de la large divulgation de ses rituels est une autre question que j’aurais pu aborder avec Jean-Pierre Bayard. Mais n’oublions jamais que la véritable Tradition est orale et non écrite. Les écrits ne sont que des aides octroyées au chercheur dans le cycle obscur pour aider les âmes à retrouver la source, les mettre dans la direction.
C’est ce qui m’apparaît maintenant de plus en plus clairement dans le but de ces Rencontres. Les éléments subjectifs recueillis sur les lieux et auprès des êtres éclairés que nous recherchons ne sont pas entièrement transmissibles ni communicables et nous pouvons simplement tenter de suggérer ce qu’il en est par les mots.
Lecteur, si tu as laissé ton esprit emporté par ce dialogue, tu comprendras que nous y mettons ici un terme mais qu’en réalité, il n’a pas de fin. Il est en fait comme dans le « Cimetière marin » de Paul Valéry, la mer, la mer toujours recommencée car la richesse des réponses du Maître apporterait toujours dans mon esprit de nouvelles questions comme les vagues et le ressac mais finalement la pensée est sublimée comme l’écume sur la crête des vagues et le mental peut se dissoudre dans une Paix ineffable... Oh, je ne résiste pas à citer le poète :
« Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux !
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l'abime un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir. »
Paul Valéry
« Cimetière marin »
Quant au crépuscule, sur l’Océan, un soleil se pose, on peut alors espérer traquer le rayon vert. C’est ce que nous avait révélé le frère Lancelot un jour, à mon épouse et à moi-même, en nous laissant nous hisser jusqu’aux pieds de l’Archange au Mont-St-Michel.
Puisque la dernière réponse de Jean-Pierre Bayard évoque le degré Rose-Croix, 18e degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, je vais conclure en citant la fin de son livre « La symbolique de la Rose-Croix » qu’il a fini d’écrire en 1973 à Maison-Laffite. Un écrivain tel que lui a laissé une œuvre qui représente une grande part de lui-même, de son effort, de son service, de sa mission cosmique. Il faut prendre la peine et surtout la joie de les lire et de les relire avec l’attention et la vigilance voulue car ils sont une initiation !
« Ainsi nous ne pouvons que souhaiter à tous de reprendre ce long chemin initiatique, cette longue quête alchimique, ce long périple pratiqué par les authentiques Rose-Croix, ces hommes qui ne révèlent pas leur visage ; et après ce long parcours qui affecte la forme d’un labyrinthe avec ses éternels retours sur soi-même, avec ce parcours qui paraît stationnaire, peut-être parviendrons-nous à rejoindre l’Unité, la révélation de la chambre carrée baignée d’une lumière blanche, où le rayon verdâtre nous montre le processus qui conduit au mystère de l’Absolu, à l’heure où la rose refleurira sur la Croix.
Mais seul le Roi du Monde sort de la caverne tellurique par l’ouverture du Zénith dans le resplendissement de la Lumière cosmique qui inonde la Croix transfigurée, support de la Rose énigmatique... »
Jean-Pierre Bayard
"La symbolique de la Rose-Croix"
(Editions Dangles et Dualpha)