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Une histoire cruelle
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Pour revenir à la page précédente... La frise sculptée du portail Nord de Cahors raconte une histoire qui met en jeu une violence inouïe. On y voit le pays où elle s’est déroulée et le peuple qui en a été acteur ou victime. S’agit-il de réminiscences d’une histoire réelle ? Sommes-nous face à une métaphore ? Dans l’un ou l’autre cas, quel enseignement avait-elle pour but de nous communiquer ? Mais en l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons que formuler des hypothèses. Cette étude a donc pour but de stimuler les recherches des lecteurs. Elle est un appel à savoir et comprendre ce qui est représenté. Reportons-nous au schéma ci-contre, et essayons de voir comment ces éléments peuvent s’organiser dans un ensemble cohérent et signifiant. – Le « contexte » de l’histoire racontée et le style de vie des personnages protagonistes du drame sont exprimés par les scènes de chasse figurant sur les bandeaux latéraux de la frise, qui, à l’Orient et à l’Occident du portail, partent des deux piédroits pour aller jusqu’au mur nord, utilisant ainsi l’épaisseur de l’avant-corps du portail. – Le narrateur s’est figuré lui-même au sommet de l’archivolte, c’est le sculpteur, le « scénariste-réalisateur » de l’histoire racontée. – De chaque coté de l’ogive formée par l’archivolte deux éléments narratifs s’opposent. Il ne s’agit nullement du Bien et du Mal, comme certains commentateurs l’avancent. Sur le côté occidental, la communauté composant les acteurs de l’événement est décrite dans un « temps ordinaire et quotidien », alors que sur le côté oriental, elle est montrée dans un « épisode paroxystique », dans une passion violente et cruelle. I - Les scènes de chasse qui figurent sur les bandeaux latéraux nous donnent le contexte géographique et humain au sein duquel les événements vont se précipiter, à travers un passe-temps courant à toutes les époques. Nous sommes dans un pays africain ou « oriental ». Les arbres sont très nettement des palmiers, identifiés à leurs troncs et leurs palmes. Si le sculpteur n’a pas lui-même voyagé en Orient (en Terre Sainte, par exemple), on lui a décrit la végétation précisément. Il est courant de voir, dans la sculpture romane, des « maladresses » qui peuvent faire figurer un chêne un peu comme un palmier (c’est le cas sur certains chapiteaux de Vézelay, par exemple). Mais dans ce cas, un œil exercé à relever les détails voit bien qu’il ne s’agit pas d’un palmier, mais d’un arbre des pays tempérés, stylisé. Ici, les tenues vestimentaires des chasseurs sont adaptées à un climat chaud, et leur vêture n’est pas celle d’un Européen du XIIe siècle : tuniques légères, et même un turban pour l’un des chasseurs. II - Les événements se déroulent de part et d’autre de l’observateur central : le sculpteur. Dans le réel, un maître sculpteur taille bien sûr, mais il est aussi le concepteur et le metteur en scène des images en relief qu’il va produire et faire produire par ses compagnons. Ici, il s’est reproduit à la fois comme l’homme à son métier, et dans l’acte symbolique de façonner se faisant son chemin vers la Connaissance, ce que l’initiation compagnonnique présuppose. III - À côté du sculpteur, du côté occidental, une scène qui est particulièrement importante pour le sculpteur : la fameuse scène de « la dispute du bâton ». L’analyse symbolique du bâton s’impose, au moment où nous sommes. Ici, on peut considérer ce bâton sous plusieurs aspects. Le bâton tel qu’il figure sur cette image, comme lien entre un homme et une femme, nous suggère un symbolisme axial, au même titre que la lance (fréquemment représentée dans la sculpture romane d’inspiration celte). Axe du monde, axe entre les deux opposés que représentent l’homme et la femme, qui peuvent aussi figurer deux courants contraires et complémentaires de l’énergie cosmique. Mais le bâton est aussi le symbole de l’étincelle, de l’éclair, et du feu. Tel le bâton de Moïse, il fait jaillir la source qui étanche la soif, il fertilise les terres arides. L’aspect phallique est évident, explicite. Comme on le voit, à la lumière de tous les sens que peut prendre cette « dispute du bâton », il est bien difficile de lui en trouver un qui puisse les résumer tous, et peut-être faut-il attendre d’avoir compris la nature des événements se déroulant tout au long de la frise qu’a composée le sculpteur. Retenons un élément, toutefois : la scène se situe à côté du sculpteur thaumaturge, mais du côté occidental, c’est-à-dire dans la partie de la frise qui raconte des scènes de la vie quotidienne de ce peuple qui sera, dans la partie orientale, victime d’une furie meurtrière et sadique. IV - Observons les "scènes de la vie courante", sur le côté occidental de la frise. L’image qu’on peut observer ensuite (après un segment de sculpture érodée, montrant un personnage agenouillé) est une scène réaliste de ferrage d’un cheval. Un premier personnage, muni d’un tord-nez, retient le cheval, et un deuxième personnage tient le pied du cheval, pendant qu’un troisième, à l’arrière, fixe le fer au brochoir. Cette scène est importante pour notre "enquête". En effet la ferrure des chevaux est datée. En Asie centrale, berceau de la domestication du cheval, au Moyen-Orient, en Égypte ou dans le monde gréco-romain, la ferrure à clous n’est pas attestée avant l’ère chrétienne, et elle s’est développée après les invasions sarrasines, et à grande échelle à partir du IXe siècle [1]. Cette constatation m’a fait abandonner l’hypothèse d’une scène biblique rapportée sur la frise de l’archivolte, hypothèse qu’il serait possible d’évoquer, les récits de violence n’étant pas rares dans la Bible (voir plus loin). Mais notre scène de ferrure, avec fixation du fer par le brochoir (marteau du maréchal-ferrant), peut nous faire supposer que la scène se déroule à l’époque contemporaine de l’édification de la cathédrale et de la sculpture du portail Nord. [2] V- Observons enfin, sur le versant oriental de l’archivolte les scènes les plus cruelles de l’histoire qui nous est racontée par le sculpteur. Nous ne pouvons pas affirmer qu’elles sont chronologiquement postérieures aux "scènes de la vie courante" qui figurent sur le côté occidental. Elles s’opposent à ces dernières par leur nature (violences exercées sur des hommes, et non pas actes de la vie quotidienne), mais nous ne savons pas comment elles sont censées se dérouler dans le temps de vie de la communauté humaine présentée au regard des observateurs. Nous ne savons pas non plus si la scène de "la dispute du bâton" en est la cause directe ou indirecte, ou bien si elle intervient simultanément aux scènes de cruauté. Ces scènes de cruauté montrent de manière très réaliste des mises à mort par empalement. Ces quatre images, dont le thème central est l’empalement, évoquent un supplice d’origine orientale. Les premières représentations du supplice du pal sont assyriennes. Ce supplice était employé dans tout le Moyen-Orient, notamment dans sa version qui voulait qu’on enfonce le pal dans l’anus du condamné, avant de le planter en terre. La cruauté du supplice était modulée par le degré d’acuité de la pointe, la taille du pieu, et la profondeur à laquelle on l’enfonçait. Cette torture était plus rarement utilisée en Europe pour supplicier les homosexuels... Comment se fait-il que le supplice du pal soit représenté de façon si réaliste à Cahors, sur le portail Nord de la cathédrale ? Est-ce un supplice observé par les croisés ? Une façon de dénoncer la "barbarie" des musulmans qui la pratiquaient, les ennemis des chrétiens en Terre Sainte ? Sont-ce les corps des suppliciés par le pal qui sont ainsi jetés aux bêtes ? Ou bien cherche-t-on à nous montrer une allégorie ? |
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Les photos ont été prises par l’auteur. [1] Voir les liens : http://www.galopin-fr.net/ferrure/h... et http://sabotsnus.free.fr/articles/p... [2] Voir les liens : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fer_à... et http://chevaldereve.com/2009/03/fer... |
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