Il est 8 heures, je suis réveillé depuis un bon moment. Un temps favorable va-t-il aider à rendre cette journée inoubliable... Il ne pleut pas et il ne pleuvra pas de la journée... Je me prépare doucement en suivant un rituel habituel, me masser les pieds n’est pas aujourd’hui d’une grande nécessité, mais il n’est pas encore temps d’abandonner les habitudes rassurantes.
En sortant du refuge, je suis à quelques dizaines de mètres des quais du port. Les bateaux sont presque tous des barques de pêcheurs pour une dizaine de bateaux plus importants, mais très peu de plaisanciers. Ce Finistère espagnol qui s’avance dans la mer forme comme un ergot allant vers l’ouest pour un arc qui s’incline vers le sud... Le port de Fisterra est très bien abrité des intempéries venant de l’ouest à l’intérieur de cette langue de terre et il reste ouvert vers le sud est.
Le temps est calme par rapport à ces derniers jours. Le combat du soleil et des nuages favorise la luminosité et la diversité des couleurs. J’ai de la chance même avec le temps... Le port est calme, pas une ride sur l’eau, une digue qui s’en va vers l’est, quelques pêcheurs qui travaillent sur leurs filets, Fisterra est une carte postale reposante. Après un bon petit-déjeuner dans un bar à pêcheurs, pas très loin du bâtiment de la criée, je me dirige vers la pension de famille que j’ai trouvée hier pour 12 euros. J’ai même droit à la vue sur le port... ! Dans une chambre très propre, je retire de mon sac le superflu pour que cette journée soit plus légère. À mon retour ce soir, c’est ici que je vais passer ma dernière nuit de pèlerin...
Quand je sors de la pension de famille, la matinée est déjà bien avancée. Je reprends le Camino avec un sac à dos bien léger pour une apothéose toute de solitude... Il y a toujours des flèches jaunes et de-ci de-là une borne avec la coquille Saint-jacques. Je vais bientôt trouver la dernière pour ce voyage de 1000 km. Le chemin est maintenant une petite route goudronnée qui sort de Fisterra et qui monte en pente douce en longeant la mer. Il y a quatre kilomètres à faire pour atteindre le phare que je ne vois pas encore. La route surplombe la mer.
J’aperçois un petit cimetière pour résidents privilégiés, autour et sur les quelques kilomètres qui séparent Fisterra de la pointe extrême du bout du monde, pas une maison, pas un signe d’une présence humaine... Les Espagnols seraient-ils aussi des sages... ! Encore environ deux kilomètres, j’aperçois enfin le phare, c’est en fait un bâtiment qui se présente comme un mastaba blanc sur cinq étages et surmontés de sa lanterne. Derniers mètres, dernière borne du Camino de Santiago, qui vient mourir ici, première palpitation que je ne peux retenir. J’ai l’immense bonheur d’être totalement seul quand je m’approche pour contourner le phare et arriver au but de mon voyage... Là, il faudrait faire un blanc, car rien, aucun mot ne peut vous restituer ce qui est en moi... Ce sentiment est simple, il est peut-être comme ce bout du monde, une pente douce qui se glisse dans l’océan, l’infini de la mer calme, une sérénité, un bonheur avec un sanglot d’émotion vraie que je peux libérer, personne, aucune pudeur pour l’entraver...
Je me calme, je m’allonge dans l’herbe, le dos appuyé au mur du phare et tout mon être est dans un autre monde. Un vide en moi plein de bonheur et de gratitude. Oui, voilà encore un moment de communion et de fusion qui me fait ressentir par tous les sens que je suis à ma place dans ce cosmos. Je n’arriverai jamais à vous transcrire ces moments là, il faut les vivre. C’est peut-être pour eux que sans cesse j’ai envie d’être sur le chemin...
La réalité d’un symbole fort me ramène au présent. Devant moi à quelques mètres la reproduction grandeur nature et en bronze, d’une paire de chaussures de marche... Je vais me plier à la tradition, je sors de mon sac une paire de chaussettes de laine que je glisse dans ces chaussures. Le feu va transformer en cendres un peu de mon passé, il va se mélanger dans une mort symbolique aux cendres de tous les pèlerins qui sont passés par ici... Un vieil homme disparaît, il va revivre encore plus fort... Personne ne sort indemne d’un chemin de Compostelle...
Je n’ai plus envie de vous en dire plus...
Trois Brésiliens arrivent à ce moment-là et les embrassades scellent notre fraternité, mais nous savons tous que cette fraternité n’est là que pour faire face à une éternelle solitude face à LUI...
Je veux sceller ce dernier chapitre avec les mêmes mots qui ont terminé mon premier voyage sur le Camino... Ce périple s’achève encore par l’écriture et toujours dans la douleur. L’histoire humaine d’un cheminement intérieur est incommunicable, les mots sont toujours de trop. Ceux que j’ai utilisés pour vous donner un aperçu du Camino de Santiago sont du même ordre, ils sont pauvres...
Je pleure, j’ai une furieuse envie de reprendre le Camino, je veux retrouver la conjugaison des sens, de la solitude, du temps et de l’Amour...
Les photos ont été prises par l’auteur pendant son pèlerinage.
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Merci, El Peregrino, pour votre récit et la sincérité que vous y mettez !
Au Moyen Age, les pèlerins devaient rentrer chez eux à pied, ainsi, cette étape de Fisterra (ou celle de Compostelle pour ceux qui n’allaient pas plus loin) n’était pas la dernière mais simplement l’étape de la moitié du Chemin...
Avez-vous déjà envisagé de revenir chez vous à pied ?
J’ai fait quatre fois des chemins différents vers Compostelle depuis l’année 2000 en partant de Saint Jean de Port, de Séville, d’Oloron-Sainte-Marie et de l’embouchure de l’Ebre le dernier en 2006… A chaque fois j’ai eu dans mon cœur le désir de faire le retour à pied… Le danger c’est peut-être de ne plus vouloir quitter le chemin… !
Depuis ce premier voyage en 2000 j’ai constamment la nostalgie du camino… Cette année je prépare un nouveau voyage de six semaines au moins. Je pars au début mai de Séville en passant par Orense pour finir à Fisterra… J’ai toujours en moi ce désir peu raisonnable de rester sur le chemin et peut-être …
Je n’ai quant à moi jamais parcouru ce Chemin, je m’exprime donc sans la connaissance qu’apporte le vécu...
Je me permets pourtant - avec respect - de poursuivre mes questions...
Ne pensez-vous pas que cela pourrait être un certain goût d’inachevé qui vous fasse à nouveau reprendre cette même direction encore et encore ?
N’est-ce pas l’absence du "retour" qui fait que l’on reste toujours un peu "là-bas" et que l’on y est attiré ensuite comme par un aimant pour retrouver des sensations, des émotions qui attendent peut-être d’être "digérées", lentement "assimilées", tout au long des détours cachés d’un Camino vers "chez Soi" ?
Vous écrivez :
« Ne pensez-vous pas que cela pourrait être un certain goût d’inachevé qui vous fasse à nouveau reprendre cette même direction encore et encore ? »
Il faudra y réfléchir encore et écouter la petite voix intérieure pour répondre, mais je crois, oui, que cette frustration associée à d’autres est bien présente…Mais honnêtement il y a tout bêtement la frustration du bonheur… Pendant un mois et demi et parfois plus, le corps et l’esprit acceptent de retrouver le nomadisme… Chaque matin au petit jour le chemin pour l’ailleurs m’attend, accompagné de ma petite voix intérieure qui semble participer à des « murmures à trois », tout mon être est traversé par un bonheur physique et intellectuel difficilement explicable…
Alors, je sais que même si je fais ce retour à pied cette plénitude mon cœur voudra sans cesse la retrouver…
Non il n’y a pas de fuite en avant, non je ne suis pas un mystique et ma spiritualité doit répondre à plus de doutes que de certitudes. Cher Consania je vous souhaite de prendre un jour votre sac, car à son rythme tout le monde peut se plonger dans cette aventure numineuse…
Coeur à coeur
El Peregrino
Trois fois cher Pélegrino,
Merci de nous avoir fait la Grâce de ta vision de l’Invisible, de ta propre contemplation des petits mystères qui permettent de tenter l’accès aux grands.Nous avons tous une "intelligence spirituelle" mais tu nous as fait sentir qu’elle passait inévitablement par le coeur tout au long de tes rencontres.
Quelle initiation à la Connaissance ce chemin de Compostelle, quelle réconciliation avec ceLui-là, quelle réconciliation avec la Nature, quelle réconciliation avec l’Homme.
Tu nous as fait traverser au fil de tes pages, semaine après semaine, le jour du solstice et tu nous laisses là !
Qu’allons-nous devenir maintenant que la lumière commence à décliner ?
Sur le fil de ce chemin, je confirme que tu es un sacré funambule !
Bises de Westhalten.
Funambule... ! Cela me va très bien, à chaque pas un funambule ne doit-il pas assurer sa démarche et rester loin des certitudes sur lui-même...
Coeur à coeur
El peregrino
MERCI El Peregrino,
Quelle simplicité, quelle sincérité, quelle modestie naturelle et quelle joie de marcher avec vous comme si nous étions nous aussi dans la même ferveur de cette tranquille assurance qui semble vous habiter toujours et tous les jours. Je suis émervéillé de savoir que l’on peut avec foi et courage marcher 30 km et plus en une seule journée. Quel don de soi ! Encore MERCI et j’espère à bientôt.
Le camino est une école d’humilité, attention à celui qui domine mal son ego... Chaque matin en chargeant sa mochila le marcheur ne désir que reprendre son chemin... Il ne connaît pas vraiment l’endroit où ce soir il posera son sac. Le nombre de kilomètres importe peu, l’important c’est de continuer demain... Pour le marcheur, le temps est aussi son bon compagnon, il doit apprendre à le gérer. Alors les jours passants, il découvre son corps et ses possibilités insoupçonnées pour rester toujours en deçà du maximum.
Cher Marciel pour avoir une Certaine expérience du Camino, j’affirme, que sauf des impératifs physiques importants tout le monde peut faire le Camino...
Coeur à coeur,
El peregrino
Quelle émotion, El Peregrino, dans cette arrivée au "Bout du Monde" ! Quelle émotion je ressens, moi, qui ai marché symboliquement "seulement"...
Vous aimez le chemin en solitaire...? Et par le don de votre texte, vous venez de le parcourir à nouveau en compagnie de centaines d’internautes !
Vous appréciez ceux qui marchent réellement et qui portent leur sac tout au long du chemin...? Et vous venez d’offrir par vos écrits d’une magnifique simplicité "l’expérience du Camino" à quelques lecteurs qui ne pourront objectivement jamais accomplir pareil périple !
Je vous entends penser à la lecture de mes propos que cette "expérience" ressentie par les internautes est différente de la vôtre, n’est-ce pas ?
J’ose avancer ici l’idée que je n’en suis pas sûr... que le partage à ce niveau peut être total... et l’émotion ressentie, intacte dans la communion...
D’ailleurs, regardez ! Regardez ! L’une de vos photos de ce jour est stupéfiante ! Vous semblez y figurer deux fois ! Celui qui a marché physiquement et qui brûle symboliquement ses vêtements de pèlerin et "l’autre" qui est adossé au phare... Assis, comme nous le sommes pour vous lire...
Vous ne pourrez plus dire, El Peregrino, nous laisser entendre, en tous cas, ni même penser, qu’il n’y a qu’une seule "vraie" façon de marcher sur le Camino... Car vous venez de nous démontrer le contraire...
Du plus profond de mon être, je vous remercie, pour ce que vous nous avez offert de vivre à vos côtés durant ces 1118 km parcourus ensemble sous la protection de Celui qui ne peut être nommé.
Oui Dazur, vous avez raison, faire le camino c’est aussi marcher dans sa tête... Avec ou sans mochila, avec ou sans douleurs... ! Mais pour toutes les formes d’initiation il y a un passage par les sens et le physique pour que s’accomplisse le spirituelle... Alors suivant les moyens de chacun, il doit y avoir « sacrifice » et cette contrainte peut prendre différentes formes...
Ma revendication de porter ma mochila et mes peurs sur 1000 kms ne devrait pas apparaître comme une exigence et si mes commentaires ont parfois semblés un peu sectaire, c’est ce qui passait dans mes tripes à ce moment là... ! Sur le chemin l’homme retrouve aussi son animalité. Alors, exprimer par des mots la fusion dans l’être du féminin et du masculin comme celle de la spiritualité et des sens est très difficile et à l’évidence souvent au-dessous de mes moyens littéraires...
Je crois le dire plusieurs fois, les mots sont pauvres... ! Surtout les miens... !
Merci Dazur de me dire qu’ils vous ont fait voyager. Je vous promets de ne plus dire qu’il n’y a qu’une seule "vraie" façon de marcher...
Nous sommes donc devenus des frères et sœurs du Camino.
Pour apporter un élément à ces réflexions, je me permets de partager avec vous cette vidéo découverte ce jour.
Cette année, ils sont partis du Puy. Ils feront le chemin par étapes. Ils sont toute une équipée. Ils font porter leurs sacs par des voitures. Et il y en a un qui ne marche même pas. Emotion.