Dans la Forêt
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C’est une forêt de basse futaie. Difficile à trouver, le chemin. Il ne faut pas se tromper : la route, puis un chemin pierreux, puis une fourche avec deux allées. On prend celle de gauche, et tout de suite à droite, on emprunte une petite sente. Le sol est jonché d’orties et de hautes herbes. Les branches les plus basses, à hauteur d’homme, sont dissuasives. Au bout de quelques mètres, après avoir vaincu les défenses herbeuses et les barrières de branchages, on trouve un sentier étroit, mais tout à fait fréquentable. D’anciennes ornières prouvent qu’il a été passant, il y a bien longtemps. Le soleil est derrière moi, je le sens à travers l’épaisseur des feuillages. Il faut du temps, et bien des pas, pour s’habituer à ce ventre vert, humide du dernier orage, encore chaud. La vie humaine, peu à peu, semble lointaine. J’arrive à une clairière. Le chemin tourne deux fois, et me ramène en arrière : cette fois, la lumière est devant moi. C’est alors que se produit le phénomène. Je marche. Je marche. Mes pas rebondissent sur un sol élastique, merveilleux. Mes sens sont alors en éveil, je vois avec la vraie vue…Toutes les essences d’arbres, différentes, se présentent à moi et je les reconnais. Sur chaque arbre, je vois distinctement toutes les feuilles. Toutes les plantes qui m’entourent, dans la multiplicité de leurs formes, me sont connues, et forment l’unité vivante, parlante, de la forêt. À force de marcher, j’atteins l’espace visualisé de loin : ce grand cercle avec l’ombre d’un arbre noir au milieu. Brusquement, tout change dans mon coeur : je passe de l’intensité passionnée de l’attente à l’extase calme. La lumière se fait plus claire à travers l’infinité des nuances du vert. Sur la terre du chemin, une mousse épaisse et luxueuse reflète la luminosité ambiante. Les branches des arbres s’abaissent vers moi, caressent ma tête, mes bras... La forêt fait vivre en moi ce qui est sauvage et connaissant. Je suis cette forêt, ce tunnel d’émeraude, comme je suis parfois ce vaste paysage de montagne ouvert aux lointains, ou bien cette mer grise et iodée, soulevée par les vents. Je marche encore. Mes pas me portent sans que je m’en aperçoive. Tout à coup, l’allée tourne brusquement : me voici en face d’un grand buisson fleuri de blanc, blanc comme une voile qui claque sur la mer. C’est la fin. Je retrouve l’orée. Comment faire, avec tant d’air dans la poitrine, avec tant d’espace dans le coeur, pour retrouver le monde habituel, les amis, la famille ? Je passe devant les premiers murs du village, je souris à des passants et je tourne la poignée de la porte de la maison. |
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