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"L’anneau magique"
1 - Jehan perdu... Jehan trouvé !
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1 - Jehan perdu... Jehan trouvé !
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C’était il y a bien longtemps... L’automne a semé ses ors sur toutes les frondaisons. Les richesses factices de sa corne d’abondance se sont déversées depuis le houppier [1] des grands chênes centenaires jusqu’aux charmes, et de là, cascadant sur les bouleaux et glissant sur les tilleuls, elles ont atteint les plus humbles ronciers, les teignant d’écarlate. Du haut des collines, on ne voit qu’un moutonnement de jaunes, d’ocres... et de cuivres, de roux et de rouges, dont le relief s’accentue, ça et là, de la touche de quelques feuillages tardifs au vert déjà indécis. C’est comme une gigantesque draperie ondoyant au moindre vent et que le clair soleil de cet exceptionnel matin de novembre fait chatoyer et resplendir sur l’azur pâle du ciel. Une si belle journée, à cette époque de l’année, c’est si rare en Bretagne, qu’il convient de s’en réjouir ! Maître Ivo Cardec, "Subtil Calculateur, Grand Astrologue, Expert en Horoscopes, et, Médecin", homme sage et de grand savoir, fort réputé à des lieues à la ronde, en est tout émerveillé tandis qu’il s’en revient à travers la forêt, cheminant sous une voûte dorée, et balançant un gros panier à l’extrémité de chacun de ses deux longs bras. Il rentre d’une longue promenade, durant laquelle il a cueilli, avec grand soin, les plantes sauvages avec lesquelles il confectionnera les médecines, onguents, liniments, remèdes et drogues, véritables panacées qui lui ont fait une réputation de "meur-mezeg [2]" des lieues et des lieues alentour. Mais, pour être un grand savant, on n’en est pas moins gourmet, et il a cueilli aussi de jeunes champignons, tout juste nés au lever du soleil, et que Marharid [3], sa servante, accommodera pour le repas. Des herbes folles se sont accrochées à sa robe brune, et, les boucles grises de sa longue chevelure ont glané des feuilles d’or au passage dans les taillis. Il semble un dieu champêtre en promenade dans son royaume. (Mais, qu’y a-t-il au fond du panier de champignons... sous la fougère ? A quoi peuvent donc servir ces morceaux de pierre noire, gluante, à l’odeur fétide ???) Tout en suivant le sentier qui le ramène à Ker Gwenn [4], sa demeure, Maître Ivo loue le créateur qui offre une telle splendeur aux yeux des hommes. Il veut oublier en cet instant que déjà le vent commence à éparpiller ces ors fragiles en parcelles tournoyantes qui jonchent le sol de feuilles mortes qui crissent sous les pas. Il veut oublier que bientôt l’hiver sera là, dur aux pauvres gens, et que son vent âpre et glacé sifflera dans les branches dépouillées et se glissera sournoisement dans les misérables "ti-zoul" [5] mal closes. Mais tandis qu’il marche ainsi, heureux, détendu, en harmonie avec la nature, son oreille capte un bruit étrange... étrange en ce lieu... on dirait les pleurs d’un petit enfant... mais c’est une illusion, bien sûr ! Qui aurait l’idée de venir dans ce coin perdu, si loin du village, avec un "mabig [6]" ? Pourtant, le bruit persiste, et même, il devient plus fort, au fur et à mesure que l’astrologue avance. Intrigué, il regarde de tous côtés, en haut, en bas... et c’est alors qu’il "le" voit ! Au bord du sentier, sur un tas de feuilles sèches, une misérable petite créature se lamente, pleurant à fendre l’âme, versant toutes les larmes de son petit corps malingre, et répétant : "Mamm, mamm, mamm [7]..." C’est un enfançon, de deux ans à peine, dont le visage ruisselant s’encadre de cheveux blonds emmêlés s’échappant d’un béguin de couleur indécise. Vêtu d’une robe rouge trop courte et d’un mantelet qui fut vert, trop mince pour la saison, il n’a pas fière allure le marmot. Qui l’a déposé là ? Ses parents ramassent peut-être du bois mort alentour ? Maître Ivo s’enquiert d’une voix puissante : "Unan bennag [8] ?" Ses longs appels se répercutent sous la voûte des arbres. Seul lui répond un bruit léger celui du vent courant sur les feuilles mortes. Le petit est bel et bien abandonné, volontairement placé sur le chemin que les habitants de Ker Gwenn empruntent souvent, sans doute dans l’espoir qu’il sera ainsi recueilli. Alors, du fond de son cœur, qui est fort grand, l’astrologue plaint les pauvres gens réduits par la misère à une telle extrémité. Que va-t-il advenir de ce marmot ??? Qui acceptera de s’en charger ? En attendant, une chose est sûre, on ne peut pas le laisser là, il y a des bêtes sauvages dans la forêt, et, si elles fuient les hommes, elles n’hésiteraient pas à s’attaquer à un si petit enfant. L’astrologue met un genou en terre et pose ses paniers... |
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Les dessins ont été retrouvés dans les papiers de l’auteur avec le texte du conte. [1] Houppier : partie de l’arbre au-dessus du fût, et qui comprend les branches et les feuilles. [2] Meur-mezeg : grand médecin [3] Marharid : Marguerite [4] Ker Gwenn : maison blanche [5] Ti-zoul : Chaumière [6] Mabig : petit enfant [7] Mamm : Maman [8] Unan bennag : Quelqu’un ? |
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