INDIA-LOG E-mails expédiés au cours de 5 mois de voyage en Inde |
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23 février 2009 - 05:24
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Oui, j’ai vu Slumdog Crorepatti (Millionnaire) – comme ils disent ici – et je pense que le scénario peu vraisemblable mais habile de ce conte de fée, permet d’exprimer quelques vérités sur les difficultés que bon nombre de jeunes urbains indiens rencontrent dans leur vie. Mais oui, j’ai rencontré plus d’un jeune de cette génération : Naveen de Bangalore, 23 ans, vient d’obtenir un Doctorat en Science du Yoga & Naturopathie. Il suit en ce moment le cours de médecine Ayurveda pour obtenir une qualification supplémentaire. Sérieux, motivé, anglais courant, le profil d’un bon docteur. À Kannur , il partage une piaule crasseuse (900 rps/mois) avec quatre jeunes travailleurs avec lesquels il n’a rien d’autre à partager. Il envoie son CV un peu partout depuis un an et il vient de décrocher un job dans un hôpital au Gujarat près de la frontière pakistanaise – un endroit où peu de jeunes diplômés du Sud voudraient mettre les pieds – mais cela lui donnera une expérience professionnelle et un salaire de 15000 rps/mois (US$ 300), nourri logé. Pas mal pour un début ici, mais son ambition est de trouver un emploi dans un spa des Émirats où son salaire pourrait être multiplié par 100. Son copain Krishan espère, trouver le même genre de travail en Suisse où il a passé l’hiver avec sa copine chinoise qu’il a rencontrée ici l’été dernier. Pour lui ces études d’Ayurveda sont un investissement, la possibilité d’acquérir en trois mois un « diplôme professionnel » ( ! ?) dans une pratique où les Indiens sont censés être les meilleurs. Et, de fait, l’Anglo-Indienne et la Colombienne de notre groupe d’étude ont proposé à Naveen et Krishan de travailler pour elles dans le centre de soins qu’elles ont l’intention de créer dans leur pays. Pour ces jeunes gens qui ne rêvent que d’émigration, la proposition est tentante mais à la réflexion, ils ont vite compris que le salaire promis, alléchant en roupies, risquait d’être très insuffisant en monnaie locale et, d’autre part, que leur présence dans ces beauty parlours servirait surtout à donner à ces établissements une touche d’exotisme et d’authenticité. Ces deux gars sont loin d’être des « chiens de bidonville ». Leurs parents financent leurs études, mais attendent du retour : dans la famille, il y a des filles à doter, des vieux parents à entretenir, des biens d’équipement à acquérir etc. Ils sont conscients de leurs responsabilités et du fait que les privations de leurs parents les obligent, par respect et piété filiale, à accepter de sacrifier une partie de leur vie. Sur ce point, il n’y a aucune confusion ni révolte dans leur esprit. Certes ils aimeraient bien s’éclater, se taper une bière, frimer en jeans et lunettes de soleil sur une Honda ou Suzuki, s’envoyer en l’air de temps en temps, mais ils savent que ce n’est pas pour demain. Et ils acceptent leur sort avec un sourire résigné : Voilà notre vie à nous ! Mithilesh de Bodh Gaya, qui avait accepté de me donner quelques leçons de hindi, a la trentaine, marié, un enfant, prof de maths ; il habite dans la maison de ses parents agriculteurs. Laquelle ressemble un peu, à l’intérieur comme à l’extérieur, à une maison de ksar du sud marocain d’il y a une trentaine d’années : pièces petites et sombres, petite cour intérieure avec puits, toilette à la turque, cuisine en terrasse. Comme au Maroc encore, sa femme préparera le repas sous nos yeux mais ne le partagera pas avec nous. Seuls luxes : une antenne parabolique et un ordinateur. Car Mithilesh ne sera pas agriculteur et ne veut pas rester prof : son salaire (4000 rps/mois, à peu près 70 €) suffit difficilement à faire vivre sa famille. Il ambitionne de devenir programmateur dans les technologies de l’information et suit des cours par correspondance qui coûtent 3000 rps par trimestre. Il n’a pas de véhicule pour faire tous les jours la dizaine de Kms qui sépare Khiriyawan, son village, de la Maitreya Project School à l’autre bout de la ville ; il se réveille donc tous les jours à 5h pour prendre les transports publics. Pourtant il déborde d’enthousiasme et d’ambition. Et son hospitalité est généreuse : c’est chez lui que j’ai été invité à déjeuner pour la première et seule fois de ce voyage. Je n’ai pas rencontré de slumdogs, mais dans un quartier de Kannur où des blocs de 15 étages d’appartements sont en train de se construire 24h par jour et 7 jours sur 7, les ouvriers sont logés sur le chantier dans les appartements sans fenêtres. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont certainement pas les moyens de se louer une chambre en ville. lls viennent de régions lointaines comme le Bihar. Et parfois, tôt le matin, je vois un groupe de ces ouvriers arriver de la gare avec leur petit sac pour tout bagage, fatigués, les vêtements fripés et prendre la direction de ces nouveaux chantiers où ils vont passer plusieurs mois, comme en exil. En exil comme ces jeunes Kéralais qui choisissent de partir travailler dans les pays arabes et les Émirats. Ils savent que ce qui les attend là-bas n’est pas un exil doré, loin s’en faut. De plus, aujourd’hui, avec la crise économique, ils sont renvoyés chez eux massivement avec un mois de préavis. Non seulement la maison de leurs rêves ne sera jamais construite ou achevée, mais ils devront rembourser les emprunts souscrits pour payer leur billet d’avion et l’intermédiaire ou l’agence qui leur a procuré ce travail. Des années de dettes. Et pas de perspective d’embauche au pays. Si aujourd’hui plus de 6o% de la population vit encore dans des zones rurales, les statistiques démographiques prévoient qu’en 2020, la moitié de la population de l’Inde vivra dans des villes, ce qui implique que les bidonvilles vont s’agrandir considérablement et que les problèmes de circulation vont atteindre un niveau insupportable. Ce qui est déjà le cas, à mon avis. |
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