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16 février 2009 - 05:41
Theyyam
jp guillot
un ami

 



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C’était la fête au village derrière Mohanam Homestay ; trois nuits de tambours et de pétards, ça fait du sommeil à rattraper.

La meilleure chose à faire puisque je ne pouvais dormir, c’était de répondre à l’appel du roulement des chennas et d’assister à ce theyyam. Un dhotî, une chemise claire par-dessus et me voilà couleur locale, mêlé à la foule des villageois. L’appareil photo ne dénote pas car les portables brandis par beaucoup font le même office.

La soirée qui attire le plus de monde est celle du rituel de l’huile bouillante : une marmite chauffe sous un feu, dedans cuisent des boulettes de riz et de pois chiches. Le danseur tourne autour, virevolte, s’approche, recule, se précipite dans la foule pour en élargir le cercle, provoquant cris et reculs effrayés, tout ça pour rire bien sûr. Il fait durer pour faire monter la tension. Parfois il fait même semblant de s’échapper de l’enceinte du temple et se précipite vers la route poursuivi par une meute d’enfants qui l’exhortent à faire demi-tour.
Puis les assistants qui entretiennent le feu se reculent, le danseur s’enduit rapidement une main de turmeric et la plonge dans l’huile bouillante. La plonge, c’est beaucoup dire, l’effleure serait plus juste. La foule s’exclame, les clameurs d’un groupe de jeunes garçons excités cajolent et défient le danseur de replonger sa main dans la friture. Alors, une à une, il en retire les boulettes et les dépose religieusement devant les 9 endroits consacrés du temple. Qui n’est d’ailleurs pas un temple (kovil en malayalam) mais un kavu : trois petits édifices carrés consacrés à Devi Shakti, et des autels.

Une fois les dieux honorés, il distribue le restant des boulettes en prasad à l’assistance qui se précipite, surtout les femmes et les enfants, pour en obtenir une. Cohue mais sans bousculade dont chacun ressort tout content d’avoir reçu de la main du danseur en transe le don brûlant et symbolique que l’on partage en famille et avale à petites bouchées avec délectation. Tout cela très bon enfant.

Après la danse, la transe. Le danseur va s’asseoir à l’écart. Il sue, il souffle, il a besoin de reprendre haleine, mais on ne lui laisse pas un moment de répit : comme on le croit possédé des dieux, il peut délivrer leur oracle. Des femmes s’approchent de lui l’une après l’autre, lui chuchotent quelques brèves paroles à l’oreille auxquelles il répond par qq. mots. J’imagine que ce sont paroles très simples, très banales, du genre : Sois une bonne épouse, apporte du bonheur dans ta maison, veille sur tes enfants…

L’oracle délivré, il roule de gros yeux rendus plus terribles encore par les cernes noirs du maquillage et conclut par un ha-ha-ha venu du fond de la gorge, une sorte de rire sans joie, sérieux et systématique qui m’amuse car il pourrait tout à fait signifier ironiquement que l’oracle n’est pas dupe du rôle qu’on lui fait jouer.

Ces danseurs et officiants sont des professionnels que les organisateurs du theyyam et les responsables du temple (attablés sagement à l’écart des festivités pour enregistrer et comptabiliser les donations) font venir de l’extérieur et rémunèrent pour leurs prestations. Ces comédiens savent donc ce que l’on attend d’eux, et jouent parfaitement leurs rôles.

Ce qui rassemble le plus de monde entre les danses c’est le repas gratuit distribué sous une vaste tente, aux hommes d’abord puis aux femmes (dans leurs plus beaux saris) et enfants. Pas besoin ici de service d’ordre : tout ce monde fait patiemment la queue, ce qui est rare en Inde. Le repas : deux grosses louchées de riz servies sur une feuille de bananier, quelques légumes, du sambar et chutney ; rien d’exceptionnel donc dans cette nourriture qui est pourtant engloutie comme si on n’avait pas mangé depuis 3 jours.

Plus tard, la foule se détourne du kavu pour assister à un spectacle qui a tout d’une parade foraine : dans les flonflons tonitruants d’une fanfare se succèdent la danse des paons, les caracolades de deux cavaliers moustachus, les virevoltes de deux géants rigides, le manège de grosses boules en forme de champignons piqués de bouquets de fleurs en plastiques aux couleurs criardes. La parade se termine par un duo comique de travestis.

Le spectacle fini, je vais me coucher. Mais des cris me réveillent, comme ceux d’une émeute et dans ma fenêtre se reflètent des lueurs d’incendie. Je me précipite sur la terrasse : une bande de gars vociférant, torse nu, brandissant des torches, court le long de la plage. Ils dansent, ils gesticulent comme des « sauvages ». On croirait une séquence de Sa Majesté-des-Mouches ou un rituel animiste quelque part en Afrique de l’Ouest entre Ouîda et Warri .

J’ai oublié de parler des masques. Les danseurs n’en portent pas à proprement parler, mais leur maquillage uniformément rouge latérite, les profonds cernes noirs des yeux, les ornements en argent qui encadrent leur visage et les casques, des cimiers en éventail, ou carré, ou pointus - dont certains atteignent des dimensions considérables -, tout cela ensemble crée l’illusion d’un masque. Harnaché de la sorte, le danseur devient l’image d’une créature surnaturelle, une idole effrayante et fabuleuse, jaillie des profondeurs du temple pour se manifester parmi les humains (ce qui apparente le danseur de theyyam à l’acteur de kathakali, mais il ne s’agit pas ici de théâtre).

Si certains danseurs replets paraissent un peu efféminés avec leur jupe ballonnante et leurs colliers de fleurs, les joueurs de chenna, eux, sont la part virile, le muscle et le nerf de la fête qu’ils rythment avec vigueur et endurance et accompagnent d’un bout à l’autre. Ce sont des jeunes costauds, vêtus seulement d’un dhotî blanc qui laisse voir leur dos perlé de transpiration, leurs bras nerveux, leurs muscles tendus dans l’effort.

Par groupe de 7, accompagnés de cymbales de bronze et parfois d’un shennaï (sorte de hautbois), le visage grave et attentif, les tambourinaires donnent au theyyam sa pulsation qui monte parfois jusqu’à la frénésie quand le chef du groupe en donne le signal. Ils se penchent alors sur leur instrument, le posent sur le sol et accélèrent le mouvement de leurs baguettes jusqu’à obtenir un grondement de tonnerre qui vous prend au ventre. Je ne suis pas le seul à apprécier ces explosions d’énergie assourdissantes : d’autres amateurs de sensations fortes s’approchent au plus près des chennas dans ces moments-là.

Il sera dit que je ne trouverais pas le sommeil avant l’aube car à 3h du matin éclate un feu d’artifice qui est moins un plaisir des yeux, qu’une épreuve pour les oreilles : ce ne sont pas des fleurs de feu qui s’épanouissent mais des fusées maigrichonnes qui pètent comme des bombes. Les Indiens et leurs dieux aiment le fracas.

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