La description du Swedenborgien que fait Balzac est tout à fait celle que l’on pourrait faire d’un personnage comme le Maître Philippe de Lyon.
"Non seulement ce grand inconnu qui vit encore guérissait par lui-même, à distance, les maladies les plus cruelles, les plus invétérées, soudainement et radicalement comme jadis le Sauveur des Hommes, mais encore ... La physionomie de cet inconnu qui dit ne relever que de Dieu et communiquer avec les anges est celle du bien, il y éclate une énergie concentrée irrésistible". On remarquera que Balzac emploie deux fois le terme Inconnu qui, nous l’avons vu, a une grande signification dans le martinisme.
La femme, que le magnétiseur plonge dans le sommeil somnambulique, peut alors quitter son corps en libérant son être intérieur pour visiter les régions terrestres et supra terrestres. Balzac donne des précisions sur ce phénomène qui laisse penser qu’il en avait une connaissance personnelle. "La vue et l’ouïe s’exercent dans l’état somnambulique d’une manière plus parfaite que dans l’état de veille..." Pour l’homme mis dans cet état, les distances et les obstacles matériels n’existent pas ou sont traversés par une vie qui est en nous et pour laquelle notre corps est une réserve, un point d’appui nécessaire, une enveloppe. La somnambule fournira des preuves qu’elle perçoit à distance lieux et pensées. En effet, le docteur lui demande de se rendre à Nemours et elle lui décrit la scène où Ursule trace un cercle à l’encre rouge autour du nom de Savinien sur le calendrier lui apprenant ainsi l’inclination de sa filleule pour le jeune de la Portendvere.
Dans ce roman, le surnaturel est véritablement un élément majeur de l’intrigue.
Ursule, pendant son sommeil, libère consciemment son être intérieur. Après la mort de son parrain, elle entre en contact avec lui dans ses rêves et celui-ci montre les scènes du vol de l’héritage et du testament de Minoret Levreau dans les deux volumes de la bibliothèque où ils étaient cachés. Il la guide et lui ordonne de se défendre, il menace des foudres de la justice divine le fils Minoret si son père n’avoue pas à temps et restitue ce qu’il doit. Or, précisément, cette menace sera mise à exécution. Le rêve prémonitoire est assez précis, car Ursule entend "dans le lointain, un bruit étrange de chevaux et de cris d’homme" et c’est un accident de voiture à cheval qui tue le fils Minoret.
Dans "La Recherche de l’Absolu", c’était l’abbé de Solis qui était familiarisé avec l’illuminisme, ici l’abbé Chaperon est très versé dans les études Swedenborgiennes. Comme Ursule lui confesse ses rêves, il lui donne l’explication occulte du phénomène. Balzac fait alors état d’une connaissance basée sur la compréhension philosophique et scientifique et non sur la croyance aveugle ou la superstition :
"Ainsi, les idées de votre parrain peuvent vous envelopper et peut-être les avez-vous revêtues de son apparence. Puis, si Minoret a commis ces actions, elles se résolvent en idées ; car toute action est le résultat de plusieurs idées. Or, si les idées se meuvent dans le monde spirituel, votre esprit a pu les apercevoir en y pénétrant. Ces phénomènes ne sont pas plus étranges que ceux de la mémoire et ceux de la mémoire sont aussi surprenants et inexplicables que ceux du parfum des plantes qui sont peut-être les idées de la plante" .
Si le parfum est une idée, c’est que la pensée est créatrice et donc toute puissante et immortelle et d’autre part, le monde des sens n’est qu’une projection du monde de l’idée. C’est la vision Platonicienne qui est conforme à la Tradition ésotérique universelle à laquelle se rattache Balzac.
La mémoire ne serait pas confinée à la matière, mais appartiendrait à l’esprit.
Le docteur Minoret discute avec l’abbé Chaperon, l’homme de science et l’homme de foi tentent de se comprendre. Ni l’un, ni l’autre, ne sont prisonniers des dogmes et tabous de leur discipline. Il n’est donc pas question ici de croyances, ni pour l’un, ni pour l’autre. A chaque fois qu’Ursule confie son expérience au curé, elle lui demande : "Que croyez-vous ? Celui-ci ne lui donne aucune réponse catégorique, car dit-il "l’histoire offre des témoignages, mais l’Eglise n’en fait pas article de foi et la science ...... en France, elle s’en moque".
De l’avis de l’abbé Chaperon, Swedenborg offre un témoignage irréfutable de la possibilité de communiquer avec les mots : "En Suède, Swedenborg, répondit l’abbé Chaperon, a prouvé jusqu’à l’évidence qu’il communiquait avec les morts". L’homme de science a une démarche d’esprit plus déductive, mais qui arrive aux mêmes conclusions.
"Votre parrain, mon enfant, procédait par hypothèse. Il avait reconnu la possibilité d’existence d’un monde spirituel, d’un monde des idées. Si les idées sont une création propre à l’homme, si elles subsistent en vivant d’une vie qui leur soit propre, elles doivent avoir des formes insaisissables à nos sens extérieurs, mais perceptibles à nos sens intérieurs quand ils sont dans certaines conditions".
Quant à Ursule, après avoir été rassurée par le bon abbé Chaperon, elle s’explique son expérience par référence religieuse : son parrain lui est apparu comme Jésus à ses disciples dans une enveloppe de lumière jaune.
Ursule, comme la somnambule de Paris, a libéré son être intérieur pendant son sommeil et fait une description précise au curé de la chambre de Zélie Minoret où le spectre de son parrain l’a conduite. Or, elle ne s’est jamais trouvée dans cette pièce dans son corps de chair et ne peut donc en avoir aucun souvenir. Balzac établit donc dans la fiction une preuve de la réalité d’un phénomène auquel il croit lui-même sûrement et dont il a pu, personnellement, faire l’expérience .
Dans ce roman, si Balzac fait intervenir le surnaturel d’une façon ostentatoire, il évite cependant l’imagerie fantastique et veut faire prendre son sujet au sérieux .
La recherche occulte est une quête spirituelle et métaphysique qui doit apporter des réponses tangibles aux questions que l’homme se pose sur sa destinée mais aussi elle a des applications pratiques dans la vie quotidienne qui en fait un instrument pour la justice, le bonheur et la santé.
Dans "L’Envers de l’Histoire Contemporaine", madame de la Chanterie exerce sur tous ceux qui l’approchent en ascendant moral auquel Godefroy, l’Initié, et même son pire ennemi de Boursac vont succomber. Ce roman établit un contraste entre le surnaturel hystérique de la fille du baron et celui que manifeste madame de la Chanterie par une utilisation discrète et efficace du pouvoir.
La jeune somnambule est incapable de soupçonner la misère où vivent son père et son fils. Ceux-ci se saignent aux quatre veines pour donner l’illusion à la malade qui ne sort jamais de sa chambre que le luxe maintenu dans celle-ci est représentatif du train de vie de la famille qui, en réalité, a sombré dans la plus grande misère.
Clairvoyance, mais pourtant aveugle.
"Ma fille, Monsieur, fut d’une clairvoyance miraculeuse, son âme a été le théâtre de tous les progrès du somnambulisme, comme son corps est le théâtre de toutes les maladies".... elle est devenue angélique".
Cet idéal de sainteté sublime comme celui de Lambert, de B. Claës est admirable mais conserve un aspect pathologique qui est tout à fait absent chez madame de la Chanterie. La sainteté sans les oeuvres est incomplète et de peu d’utilité à l’humanité. Ici, Balzac est très proche de la philosophie martiniste encore une fois. Au contraire, madame de la Chanterie et ses quatre commensaux gouvernent une vaste organisation qui conspire au service du Bien.
"Or, quoiqu’il y ait dans Paris dix mille individus plus ou moins aptes à nous servir, ces douze élus ne se rencontrent pas en un an".
Il y a ici miracle, il réside dans la perfection obtenue dans l’action, la maîtrise acquise dans la voie des oeuvres , tout ceci accompli dans une attitude intérieure de parfait désintéressement. Il faut tout connaître, tout comprendre et se trouver au moment voulu, à l’endroit voulu, pour exécuter les desseins de Dieu en se faisant l’instrument de sa Providence. Le mystère frappe alors celui qui se demande si vraiment le hasard existe.
Balzac ne nous montre pas ici les facultés psychiques des membres de l’Ordre, comme par respect pour la règle de discrétion qui incombe à tout véritable initié dans ce domaine. Le maître mot, ici, c’est la Charité comme nous l’avons vu au début de cette étude. Madame de la Chanterie recommande à Godefroy la célèbre
épître de Paul sur la Charité : "Tous les pouvoirs de l’esprit ne sont rien si je n’ai pas la Charité".
Les seules indications que nous ayons sur la puissance détenue par Madame de la Chanterie sont données en ces termes à Godefroy par Monsieur Alain.
"N’a-t’elle pas sur Job l’avantage de n’avoir jamais murmuré ? Ne vous étonnez plus de trouver sa parole si puissante, sa vieillesse si jeune, son âme si communicative, ses regards si convaincants, elle a reçu des pouvoirs extraordinaires pour confesser les souffrances, car elle a tout souffert. Toute douleur se tait auprès d’elle".
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