Quelles sont nos données de base ?
dimanche 21 janvier 2007

par Bayazid


Cet article fait partie d’un dossier intitulé : Le mystère d’une marque au "Quatre de Chiffre"
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Il y en a trois.

D’abord la date : 1560, inscrite sur le blason (le S à l’envers est un 5 de l’époque). Mirepoix est une ville importante au XVIe siècle, et 1560 est une date-clef.
Philippe de Lévis-Mirepoix III, Maréchal héréditaire de la Foi, Seigneur de Mirepoix, Sénéchal de Carcassonne et de Béziers, règne sur le pays. Le pays de Mirepoix, en vertu d’un paréage datant de 1362, dépend directement du roi de France.
1560 marque le début d’un schisme reconnu entre protestants et catholiques. C’est l’année de la conjuration d’Amboise. Le prince de Condé, chef des calvinistes, échoue dans sa tentative de renverser les Guise.

À Foix, Jeanne d’Albret défend la foi calviniste.

Catherine de Médicis, régente à la mort de François II, temporise et parvient à geler le statut territorial entre les deux religions. Ce n’est qu’en 1562 que François de Lorraine, duc de Guise (portrait en haut de cet article) organisera le massacre des Protestants à Wassy, déclenchant le début des hostilités violentes. Après l’assassinat du duc le 18 février 1563 par Poltrot de Méré, un gentilhomme protestant, la guerre se conclue en mars 1563 par l’édit d’Amboise, qui entérine l’existence des églises protestantes en France, et constitue une forme d’acceptation de la Religion Réformée. Mais cela ne calme pas les deux clans ! La guerre est particulièrement vive autour de Mirepoix. Les violences entre Papistes et Huguenots ravagent la région. Des troubles se manifestent à Pamiers en 1559 et à Foix (aux frontières proches du pays de Mirepoix) en 1560. Le Comté de Foix sera d’ailleurs gagné à la religion réformée.

Mais Philippe de Lévis-Mirepoix, lui, résiste à la Réforme. Il n’oublie sans doute pas que son ancêtre a reçu les terres de Mirepoix de Simon de Montfort, comme remerciement pour sa participation dans la croisade contre les cathares !

Et c’est là notre deuxième donnée : à la date du début des guerres de religion, la marque évoque une croyance tout à fait fidèle à l’Eglise.
Le haut du blason titre Jésus (IHS : grec) et Marie (MA : latin), ce qui ne laisse pas de doute sur « l’orthodoxie ».
Paul Delalain (opus cit.), le premier à avoir analysé les marques au Quatre de Chiffre, affirme que ces marques se voient le plus souvent dans un contexte catholique :
« Dans le seizième siècle, à partir des débuts et des progrès de la Réforme, le signe se particularise et devient un témoignage de dépendance de l’Église catholique. Ce qui semble confirmer cette dernière assertion, c’est que le signe est beaucoup plus fréquent dans les pays qui continuent à reconnaître l’autorité du Saint-Siège que dans les contrées où le protestantisme s’établit sous ses diverses formes... ».
Ceci étant, la date de 1560 inscrite sur le blason ne présume pas de la date exacte à laquelle celui-ci fut fabriqué....

Troisième donnée : les initiales GA.
Elles figurent de chaque côté de l’axe vertical du signe. Elles sont celles du détenteur de la marque.

Certains commentateurs évoquent, devant de telles initiales, une allusion à une autre signification (GA = Grand Architecte ?).
Même à supposer une fabrication du blason postérieure à 1560, la nature des organisations de métiers et le contexte dans lequel elles travaillaient jusqu’à l’aube du XVIIIe siècle ne permettaient pas une allusion de cette manière au « Grand Architecte » qu’évoque le Livre des Proverbes de la Bible...
Une confrérie de métier issue des compagnonnages médiévaux n’emploierait jamais des initiales pour évoquer l’Architecte ! C’est l’évocation des trois outils : l’équerre, la règle et le compas, qui y ferait référence, ou encore, nous le verrons : le tracé du Quatre lui-même !

Le Grand Architecte créant le Ciel et la Terre à l’aide du grand compas d’appareilleur.
(Bible française du XIIIe siècle)

À ce stade, un petit flash-back historique sur les confréries et les corporations de métier s’impose :
La trace de groupements professionnels, en particulier de constructeurs, se relève chez les Egyptiens et les Grecs. Dans l’Empire Romain, les "collegia" avaient leurs dieux tutélaires et leurs rites. Leurs cultes, tout comme leurs techniques, subirent l’influence des religions dites "à mystères", qui étaient très populaires à l’époque. L’entrée dans un de ces métiers commençait par une véritable initiation.
Il est vraisemblable que les rites des "collegia" survécurent sous le Bas-Empire, en se christianisant progressivement.

Les bâtisseurs de cathédrales

Durant le bas Moyen Age, les « collegia » se mirent sous la protection de l’Eglise et des monastères.
À partir du XIe siècle, les confréries et guildes de métiers se développèrent, et certains artisans purent bénéficier de la liberté de circulation : ce sont les "Francs-Mestiers", composés d’hommes libres, qui mèneront à bien la construction des cathédrales.

Vers 1400, les manuscrits "Regius" et "Cooke" racontent l’histoire traditionnelle des Francs-Maçons et présentent un ensemble de règles professionnelles et morales : ce sont les "old charges" (anciens devoirs).
Le XVIe siècle est une époque-charnière. On peut supposer que vécurent côte à côte des associations de métiers fidèles à la religion qui les avaient protégées, et des groupements plus ou moins secrets cherchant une solution aux guerres et aux querelles religieuses qui déchirent le continent en libérant la spiritualité des dogmes religieux.
Les imprimeurs, dans leur ensemble, appartinrent surtout aux fidèles de l’Eglise : peut-être aussi parce qu’elle fut leur premier client ? Rappelons que 75 % de l’activité des métiers du livre, durant le siècle qui a suivi l’invention de l’imprimerie, était consacré à éditer des bibles et des livres religieux...
La Franc-Maçonnerie spéculative naîtra sur ce terreau, en acceptant d’ailleurs souvent les deux courants. Mais, ce n’est qu’au XVIIe siècle que deux pasteurs, Désaguliers et Anderson, ont ouvert la Franc-Maçonnerie spéculative à une foi tolérante. Cette attitude est affirmée en 1822 dans la constitution d’Anderson.

L’affirmation de la foi dans le Christ Jésus et en Marie, la date de 1560, les initiales du Maître, plaident donc pour une marque de métier, qui, par sa symbolique, se réfère avec force aux dogmes de la foi catholique.

La forme blasonnée du chiffre évoque une enseigne, et il n’est pas impossible que, de surcroît, cette enseigne ait pu être utilisée comme cadran solaire de type « méridional ». Voilà toutes nos hypothèses de base.

Pouvons-nous essayer d’aller plus loin ?

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Bayazid

 

 Le portrait du duc de Guise en haut de cet article provient du site : http://www.ac-strasbourg.fr/.
 La photo du château de Foix provient du site : http://www.ot-foix.fr/
 L’illustration du Grand Architecte provient du site : http://www.rene-guenon.net/.
 Les bâtisseurs de cathédrales proviennent du site : http://www.franc-maconnerie.org/

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