Qu’aimeriez-vous dire aux jeunes médecins aujourd’hui ? Les jeunes qui commencent leurs études de médecine ou qui ne vont pas tarder à exercer comme médecin généraliste. Nous avons découvert en écrivant « Les Illuminés de la Colline » avec le dernier des cinq médecins du groupe, Le Noc, que la mentalité avait énormément changé pour les étudiants en médecine qui terminent et qui vont éventuellement s’installer. Ils sont très, très, très loin de tout ce que je viens de dire là. La première grande question, (c’est ce que m’a dit Le Noc qui a dû en voir une trentaine dont vingt qui n’ont même pas donné suite) est : quel est le coût de l’activité médicale en groupe ; qu’est-ce qu’il faut pour le rachat des parts (les murs), et y a-t-il a une indemnité d’entrée ou pas (pour nous il n’y en avait pas) ?
Et bien, ils disent :
– Ah bon. Mais alors attendez, vous avez gagné combien ?
– C’est tant.
– Bon, merci beaucoup. Terminé ! Vingt sept sur trente ! L’unique question ! L’argent et la rentabilité de la médecine de groupe. Trois intéressés, allant plus loin, c’est-à-dire en demandant :
– Mais alors comment vous travaillez ? Les conditions ? Il y en a trois. Ce qu’ils attendent effectivement c’est l’investissement qu’ils ont fait en études. Ah, ils ont fait tous les calculs !
Avant de s’installer, et combien ils vont gagner. Alors sur cent, actuellement qui tous les deux mois sont inscrits au département, au Conseil de l’Ordre, cent qui seraient, en principe généralistes, vous savez combien il y en a qui s’installent ? Sur cent ? Une petite dizaine. Quatre-vingt-dix ne s’installent pas. Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils font des remplacements. Ils ne posent pas leur plaque, ils ne se mettent pas en groupe, ils remplacent les généralistes en exercice qui cherchent un remplaçant pour, au moins, prendre leurs vacances. Et en plus, autrefois lorsqu’on remplaçait un médecin, on avait droit à la moitié de la somme, c’était déjà ça, parce que le médecin gardait la moitié, estimant que ses charges étaient de la moitié. Aujourd’hui, un jeune commence par dire : « C’est tout ou rien. », et le médecin dit oui, parce qu’autrement il ne peut pas partir en vacances. Voilà l’illustration de ce que je viens de dire. Mais, je n’aurais jamais, jamais pensé que ça pouvait arriver à ce degré.
Qui va être médecin généraliste dans les années à venir ? Et là il va bien falloir faire une révolution ou quelque chose.
Mais c’est une révolution qu’ils ne veulent pas faire. Je pense qu’ils sont dans l’optique globale, sans même très bien se rendre compte, d’une société de consommation, c’est tout, tout de suite. Enfin moi, je suis pessimiste, là. Enfin, je ne suis pas vraiment pessimiste parce que je crois qu’il faut qu’on se batte.
Maintenant il y a un médecin « référent ». Oui, mais dans les mêmes conditions que ce qu’on vient de dire. Donc, ça n’ira pas loin pour le médecin référent. Apparemment c’est bien, moi je le souhaite si vous voulez. D’autant plus qu’on peut changer. Un peu comme le système anglais : vous êtes référent pendant un an et vous renouvelez. Et ça ce fait tout seul. Mais si vous n’êtes pas content, vous avez le droit de changer tous les ans. Et éventuellement, même en cours d’année, si vous estimez qu’il y a presque une faute professionnelle. Il y a aussi des aménagements, si vous avez une maladie cutanée, ou une maladie ophtalmo, ou une maladie digestive de longue durée, etc, vous n’avez pas besoin de repasser chez le généraliste et ce sera au patient de demander au spécialiste de maintenir au courant, tout le temps, leur médecin référent. Ce qui ne sera peut-être pas fait, mais il faudra aussi que les patients se défendent un peu. Bon, mais il y a aussi des aménagements possibles du système, à mon avis. Moi, je serais pour, le médecin référent, fondamentalement, compte tenu de ce que j’ai dit précédemment et surtout qu’il soit compétent. Pour moi la seule grande question est là. Je croyais que ça résoudrait tout. C’est là que j’ai été utopiste aussi. Je me disais : « Si les généralistes sont vraiment compétents, il n’y aura pas de problème, ils passeront la rampe ». Mais malheureusement avec le paiement à l’acte, c’est trop tentant d’usiner, de faire des actes à toute allure, comme beaucoup.
Pour revenir aux questions d’argent, un jeune médecin qui viendrait donc prendre des parts, qu’est-ce ça représente comme investissement, qu’est-ce qui se pratique ? En général cinquante pour cent de l’activité du médecin.
C’est quand même beaucoup pour un jeune médecin ! Mais bien sûr. Il ne sait pas ce qu’il aura comme clientèle. A priori, il aura 50% de celle du médecin qu’il suit, s’il prend une succession. C’est vrai aussi, qu’en pratique, grosso modo, le changement de médecin fait une perte de cinquante pour cent. C’est assez juste, dans l’ensemble. Pas pour moi. Pour la petite histoire. Comme nous accueillons des étudiants en fin de médecine, pour un stage (de cinq à six mois, passant d’un médecin à l’autre, c’est vraiment très formateur), et que j’envisageais de prendre ma retraite à soixante et un an, j’ai pris l’avis des médecins, des secrétaires, des infirmières au sujet d’une des stagiaires qui venait de finir son stage. Je n’ai eu que d’excellents échos, et dans mon exercice avec elle j’étais content comme tout. Je faisais beaucoup participer les stagiaires, leur demandant de se mettre à ma place, après accord du patient. Donc les gens l’ont connue, l’ont vue. C’est elle qui les examinait, qui les interrogeait, et à qui je disais : « Mais vous n’avez pas posé telle ou telle question. ». Parce que je sentais qu’il y avait une autre direction ou je sais pas quoi. Puis elle m’a remplacé l’été de mes vacances. Quand on lui a proposé, oh ! Elle m’aurait embrassé presque, mais oui, tellement elle était contente de trouver une formule qui lui convenait et donc là, pendant trois mois, ce qui ne se fait pas souvent, je l’ai présentée à tous les patients comme étant mon successeur. Et bien, au lieu de cinquante pour cent, car la perte de clients aurait dû être plus importante parce que j’étais un vieux médecin, homme, et elle, une jeune femme. Et bien je peux vous dire que quatre-vingt-dix pour cent des gens sont restés. Parce qu’ils la connaissaient, parce qu’ils lui ont fait confiance, parce qu’ils savaient que moi, je lui faisais confiance. Mais ça, ça ne s’explique que parce qu’elle a été présente, parce qu’elle a été présentée, parce que les gens ont choisi. Pour moi, ça a été merveilleux de partir en retraite et de voir que les gens sont heureux. C’était génial pour elle. Elle a immédiatement été au niveau des autres et de tout le monde.
Donc là, il a fallu qu’elle rachète les parts ? Ah, ben bien sûr. Oui, oui, normalement, le 1/5 des parts du groupe. Mais d’ailleurs on est imposé là-dessus. De même pour "la clientèle", les Impôts savent parfaitement que c’est cinquante pour cent des revenus sur les deux ou trois années précédentes ; c’est une moyenne, très réaliste. Donc ce n’est pas la peine de leur raconter d’histoire. C’est logique. Donc là, j’ai répondu à la question et même sur la somme que ça représente, qui est importante, c’est vrai.