INDIA-LOG E-mails expédiés au cours de 5 mois de voyage en Inde |
Date
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31 octobre 2008 - 8h01
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Sur ma liste de choses à voir, en voilà une de plus à cocher. Depuis la lecture du roman de E.M. Forster, « La Route des Indes », j’avais mis la visite de ces grottes sur ma liste car le film réalisé par David Lean ne rendait pas du tout l’impression que le chapitre-clé du roman qui se déroule en ce lieu, m’avait laissée. Ces grottes ne sont qu’à 25 km de Bodh Gaya ; au début du siècle dernier, pour s’y rendre, ce devait être toute une expédition en carriole à cheval, mais la piste était sans doute en meilleur état que les derniers 15 km de la route actuelle. En 1h30, on traverse d’abord tout Gaya, ville malpropre où l’on n’a pas envie de passer plus de temps que nécessaire. On traverse ensuite une campagne de rizières, voyage paisible si le chauffeur, respectant la loi de la jungle du code de la route indien, ne se frayait la route à coups de klaxon comme Indiana Jones à coups de machette. Puis on s’engage sur une piste déplorable qui traverse des villages tristes où l’on comprend que les paysans, pris entre gadoue de rizière et galettes de bouses sous un ciel blanc brûlant, éprouvent de temps à autre le désir violent de partir tous ensemble en pèlerinage vers quelque temple lointain pour se changer d’horizon. Et soudain surgissent de la brume de chaleur des collines, amoncellements de rochers gris, de type chaos que le bouddhisme des premiers âges affectionnait pour y établir ses ermitages, ses ruches de méditation. En bout de piste, une guest-house et un musée fermés, comme à l’abandon et deux policiers armés de fusils nonchalamment assis devant leur poste. Silence immense, vaguement inquiétant : les policiers et quelques paysans assis à l’ombre observent notre arrivée d’un air soupçonneux. Je me souviens alors d’une recommandation lue dans la presse locale : ne pas circuler de nuit entre Gaya et Rajgir à cause du banditisme et des tensions sociales, ni de visiter seul certains sites isolés, tels que les grottes de Barabar. Bon, plantons là la parano et laissons-nous conduire par le vieil homme qui s’approche, des clés à la main et nous montre le chemin. L’ascension se termine devant un rocher, un boulder arrondi qui ressemble à un cachalot échoué ; une grille s’ouvre et je me retrouve dans une de ces fameuses caves, mal traduites par grottes, parce qu’en fait, ce sont d’étranges espèces d’espaces creusés à main d’homme dans la roche. Des chambres, les Egyptiens savaient faire, mais ici rien de funéraire, pas de descente vers des caveaux profonds : on franchit un seuil, on fait deux pas et l’on se retrouve dans une pièce vide dont les parois, la voûte, découpées comme au fil à couper le beurre dans le granit noir, sont d’un poli parfait. On peut attendre cette perfection d’une colonne, d’une stèle, d’une statue, mais ici, dans ce volume de chapelle, elle semble surnaturelle. Pas la moindre aspérité, le moindre détail décoratif, rien à quoi accrocher le regard. Absolument rien. On fait ici l’expérience du Vide, vide qui répercute avec un effet d’écho absolument sidérant, pour ne pas dire sidéral, le moindre soupir. Et qu’éprouver alors lorsque le guide lance un OM retentissant ! Mais le meilleur reste à venir : au fond de la pièce finit par se discerner, sous une sorte d’auvent bombé comme une paupière, une porte étroite qui donne sur un espace que le faible faisceau de ma torche explore : une coupole parfaitement hémisphérique, un planétarium sans étoiles qui fait plonger dans la matière noire des espaces infinis. Je comprends mieux que les deux héroïnes du roman de Forster soient sorties de ces caves profondément troublées. Elles ne se remettront jamais tout à fait de l’expérience : l’héroïne s’abandonnera à ses fantasmes de viol et provoquera le scandale qui est au cœur du roman, quant à son accompagnatrice, Mrs Moore, elle y perdra ses repères, ses croyances, ce qu’elle pouvait avoir de foi en un Dieu et une Nature compatissante et sombrera dans une dépression misanthropique et nihiliste. Il est certain que si le « concept » de cette excavation, datant de 2500 ans et des poussières, était de faire éprouver à qui séjournerait en ce lieu (les Ajivika, une secte d’ascètes nus fondée par Makkali Gosala à l’époque du Bouddha), au cœur des ténèbres, au cœur de la matière et du sujet (the subject matter), de façon à la fois physique et métaphysique, le Néant, c’est une réussite totale. Le lendemain, avant de quitter Bodh Gaya, il ne me restait plus qu’à visiter l’université bouddhiste située juste derrière mon hôtel. En chemin, je tombe sur un monastère-dispensaire américano-tibétain ; j’entre, j’apprends que c’est aussi un centre de retraite et méditation, qu’un stage d’initiation à la méditation bouddhiste tibétaine commence demain, qu’il dure 10 jours pendant lesquels abstinence et silence sont de rigueur et qu’une chambre vient juste de se libérer. Les signes sont trop nombreux pour que l’occasion ne soit pas saisie au vol. Donc silence-e-mail à partir de demain pour 10 jours. Mais j’aurai sûrement grand plaisir à avoir de vos nouvelles à mon retour dans le monde d’ici-bas. |
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