Il y a longtemps qu’il ne sent plus le froid dallage sous ses genoux ankylosés, longtemps que son esprit s’est affranchi de son corps immobile. Sa conscience est totale dans l’obscurité de ce saint lieu où il a été conduit, il y a bien des heures maintenant... si longtemps qu’il ne sait plus le temps.
Un moment pourtant, il perçoit la blanche lueur de la lune lorsqu’au milieu de la nuit, elle pénètre par la baie latérale de la chapelle. En éclairant le chœur, elle guide sa méditation.
« Es-tu prêt ? »
Il ne peut qu’imaginer sa vie future. Il ne peut qu’endosser mentalement vêture, cotte et éperons, heaume et épée. Mais ce ne sont, il le sait, que les éléments d’un costume. Comment se sentira-t-il ainsi revêtu ? Saura-t-il être digne de ces nobles idéaux auxquels il aspire ? Assurément, ce n’est pas cet habit qui le changera en profondeur. Il pense qu’il sera ce qu’il est aujourd’hui. Et la question résonne à nouveau dans la froide lueur de la lune qui sans cesse le renvoie en lui-même...
« Es-tu prêt ? »
Lentement, l’astre du reflet poursuit sa ronde autour de lui. Il conduit alors, dans la totale immobilité de son corps agenouillé, une lutte acharnée avec lui-même. Les ombres que dessine le lent retrait de la lune se font terrifiantes. Tour à tour, dragons monstrueux, visages difformes, effrayants, chimères ricanantes...
Il lutte, de toutes ses forces, jusqu’à ce moment où l’obscurité à nouveau complète et son corps, tétanisé par l’immobilité qu’il a su ne pas rompre, secrètent en son mental un lent engourdissement puis génèrent finalement un relâchement complet, une détente intérieure qu’il ressent comme une libération puissante. Le temps d’un éclair, il vient d’épouser la Vie. Extase...
Et c’est le tout premier chant d’un passereau, premier éveillé en ce jour qui va poindre, ce sont ces trilles joyeux bientôt multipliés qui lui permettent de revenir à lui en cette sainte chapelle qui lentement s’illumine de la bienveillante lueur solaire.
Il n’a pas bougé. Les deux genoux en terre, les mains jointes, il continue de faire face à l’Orient. Seule palpite en lui, maintenant, une détermination qu’il sait totale. La paix qu’il ressent est profonde.
« Es-tu prêt ? »
« Oui, je le suis. »
« Alors, debout, Chevalier et, à l'Oeuvre. »
Je dédie ce texte à Alexandre, jeune garçon qui, avec grand soin, a peint ce petit chevalier et de grand coeur me l’a offert, ignorant, je pense, quel cadeau magique il me faisait ainsi...