Le diable. Pour saisir cette lame et sortir des images qui s’imposent à l’audition de ce vocable, décortiquons un peu le mot.
Diable : c’est-à-dire d’abord « di », puis « able ». La racine « Di » désigne la lumière. Nous la retrouvons dans « diurne », et dans « Dieu » qui veut dire briller. En ce sens, « la maison Dieu » voudrait dire, « Maison Lumière », et un petit jeu de mot si courant dans les temps anciens pourrait nous faire écrire sans nous tromper « Maison d’yeux ».
Mais avant de saisir cette fameuse lumière si précieuse, il nous faut montrer quelque capacité. C’est là que nous trouvons notre suffixe « able », qui signifie « qui peut ». Comme capable, qui peut être chef, mesurable, qui peut être mesuré, etc. En anglais, « to be able » signifie « pouvoir ».
Le diable désigne donc l’étape qui nous permettra, si nous le pouvons, de contempler et de faire croître la lumière à partir de la lame 16. Ses cornes, font du « diable » un rappel de « Cernunos », le Dieu aux bois de cerfs consacré à la lumière divine.
Bien, mais comment ? Que devons-nous faire ? Le diable nous donne quelques indications.
Les deux yeux sur les genoux nous expliquent tout : convertir en un regard unique, la lumière pénétrant par un organe double, et ce, par l’initiation.
Là, diverses techniques nous sont proposées par la tradition : la concentration par les phosphènes chez les Perses, vipassana chez les bouddhistes, Shiné chez les tibétains, concentration sur un point du corps chez un peu tout le monde, visualisation, et tant d’autres techniques encore, qui toutes ont pour but, l’indépendance du sujet vis-à-vis des pensées, la permanence de l’identité. Comment pouvons-nous espérer fixer un jour la lumière, si nous sommes le jouet de la première émotion qui passe, de la première pensée qui s’impose. Nous sommes comme un royaume dont le trône est sans cesse occupé par une multitude de pseudo-roitelets.
Il y a dans le corps lumineux, un canal très précieux. Il est médian, et si la conscience réussit à y pénétrer, et à y demeurer, elle connaît l’illumination. C’est ce canal qui est figuré dans la Maison-Dieu sous la forme d’une tour. Pour y pénétrer, les moyens sont divers selon la nature de l’œuvre. Pour l’œuvre dont le corps est l’œuf, il faut activer les souffles internes en dirigeant habilement les souffles externes, de manière que le lieu de la forge, montré d’une part par le visage sur le ventre, d’autre part par l’anneau baigné de rouge où les deux cordes des diablotins sont attachées. Ces deux diablotins symbolisent les deux canaux par lesquels vont pénétrer les souffles externes venant des cordes de chaque côté, pour ensuite activer le cinabre secret, l’attache, faire ensuite monter le feu, et ouvrir le canal central, dont le diable est en fait la figure.
Dans la version de l’imprimeur Conver, ses yeux louchent vers le nez, et à la place du visage, sur le ventre, il nous montre une petite virgule, ce qui est encore plus précis, et transpose l’imagerie du niveau symbolique au niveau opératif.
Il a des ailes d’animal nocturne, car à ce stade nous sommes en préparation, et l’envol dans les cieux de la réalité est pour après. Ici, le sujet voyage dans les rêves, dans les replis du monde astral, et imagine encore ces visions comme extérieures à lui-même. Enfin, le croyait-il, car par l’apprentissage du regard unique, il apprend que c’est lui qui, depuis des temps immémoriaux a fabriqué ses propres réalités dans les trois mondes, avec ses trois paires d’yeux.
Grâce au long travail du diable, l’artiste quitte le monde des représentations qu’il a jusqu’alors tissé. Il prépare la venue de celui qui est sans mélange, simple et d’une seule pièce. Il prépare sa conscience à la reconnaissance de la lumière sans commencement ni fin, dans laquelle toujours il baigne.