La volonté et son utilisation démoniaque
samedi 26 août 2006

par Célestin Valois


Cet article s’inscrit dans le cadre d’une vaste étude intitulée "Balzac et le Martinisme". Pour revenir à la page précédente...

Dans "La peau de chagrin", "Melmoth Réconcilié", "Louis Lambert", le Sur-Naturel ne résulte pas de la qualité morale et ne provient pas de la région de l’Amour. Il est lié à une utilisation savante de la force du Divin, du pouvoir de la Pensée et de la Volonté qui ne sont en réalité que trois aspects différents d’une même chose.

Ce pouvoir peut être mis au service de la pensée, comme c’est le cas de Louis Lambert, mais aussi il peut être au service du désir inférieur et démoniaque.

Le pouvoir qui est concentré dans la peau de chagrin est proportionnel à la somme des désirs qu’un homme puisse souhaiter réaliser dans une vie. Ce sont des désirs mondains et la puissance démoniaque, quoique considérable, est néanmoins limitée et diminue chaque fois qu’un désir est formulé et donc aussitôt magiquement réalisé alors que la peau de chagrin rétrécit et que la vie de son possesseur maudit diminue en conséquence et s’abrège de plus en plus.

Ce roman est autobiographique puisque le héros, comme Balzac dans sa jeunesse, a eu la tentation du suicide. Il est aussi prophétique puisque la vie de l’écrivain a été abrégée par l’excès des travaux et des plaisirs. Balzac a sans doute brûlé du feu de l’homme du torrent et de celui de l’homme de désir. "Le Traité de la Volonté", c’est un peu le testament de "La Comédie Humaine". Si cette volonté est usée dans les plaisirs mondains, la passion, le mal n’est que relatif car c’est un apprentissage du Bien lorsque l’autel sera prêt, il sera utilisé selon le vieil adage "Quand le disciple est prêt, le Maître apparaît". C’est ce qui arrive à Godefroy.

Dans "La Peau de Chagrin", Balzac situe l’importance de ce Traité de la Volonté.

"Toi seul admiras ma théorie de la volonté, ce long ouvrage pour lequel j’avais appris les langues orientales, l’anatomie, la physiologie, auquel j’avais consacré la plus grande partie de mon temps. Cette oeuvre, si je ne me trompe, complétera les travaux de Mesmer, de Galles, de Bichat en ouvrant une nouvelle route à la science humaine".

Mesmer

On peut penser que ce traité de la Volonté a véritablement été rédigé au Collège Vendôme par Balzac, enfant prodige, comme il le raconte dans Louis Lambert.

Le fondement de cette théorie n’est pas seulement philosophique, mais se veut avant tout scientifique comme l’illustre cet autre passage de "La Peau de Chagrin".

"Elle parut s’amuser beaucoup en apprenant que la volonté humaine était une force naturelle semblable à la vapeur, que dans le monde moral, rien ne résistait à cette puissance quand un homme s’habituait à la concentrer, à en manier la somme, à diriger constamment sur les âmes sa projection même fluidique, que cet homme pouvait à son gré tout modifier relativement à l’humanité, même les lois absolues de la nature".

La volonté est un fluide qu’il est possible d’apprendre à concentrer et à diriger. Cette théorie qui se veut scientifique est très proche de celle du docteur Mesmer qui tenait ses connaissances des Rose-Croix. Dans "La Peau de Chagrin" nous trouvons d’autres références scientifiques à cette théorie vitaliste. Balzac cite le docteur Comeristurs, poétique défenseur de Val Helmont, comme étant l’un des chercheurs de l’impondérable humain, de ce principe de vie qui échappe à l’investigation scientifique ordinaire, car il transcende les lois connues de notre Univers ... "une espèce de flamme intangible, invisible, soumise à la loi divine et qui reste souvent au milieu d’un corps condamné par nos arrêts, comme elle déserte aussi les organisations les plus viables".

"Melmoth Réconcilié" tient aussi son inspiration d’origine rosicrucienne puisque cette oeuvre a pour modèle le "Melmoth" de Maturin où le personnage de

Beringhold est un chercheur initié aux secrets des Rose-Croix, mais dont la science du magnétisme appliquée à des fins personnelles se transforme en vampirisme psychique pour trouver l’immortalité.

Dans ce récit, Balzac montre la force du désir et la volonté sous le double aspect ténébreux et lumineux.

La puissance démoniaque à laquelle se livre Melmoth et tous ceux qui hériteront à sa suite du funeste pacte, révèle les possibilités du Sur-Naturel et la liberté connue dans le Monde des Esprits. Ainsi, la puissance participe de ce que nous nommons le mal, mais s’avère finalement être une aspiration à transcender le monde matériel ce qui est préférable à la médiocrité dans laquelle se confinait la vie de chacun des protagonistes de cette histoire. Le mal trouve toujours sa limite et il est donc l’apprentissage du Bien.

Pouvant tout obtenir, on ne désire plus rien, c’est alors que jaillit la Compréhension. Le désir n’est pas une fausse impulsion, mais c’est l’objet du désir qui est inadéquat. Seule, l’union au divin peut établir le bonheur.

Le monde des êtres déchus n’a aucune compréhension de la joie divine, la béatitude , nous disent Pasqually et Swedenborg. Ils ont l’omniscience et l’omnipotence, mais dans une conscience de doute de séparativité, ils sont plongés dans l’illusion de leur existence propre. Cette conscience de séparativité, comme l’a très bien décrit la philosophie existentialiste de J. P. Sartre, est une conscience malheureuse, c’est le ver dans le fruit, dans le vide et l’impossibilité d’être.

Le pacte démoniaque dynamise le désir, donne le pouvoir et accélère le rythme des expériences comme dans "La Peau de Chagrin". L’homme comprend qu’il est à mi-chemin entre les règnes angélique et démoniaque d’une part, et le règne animal d’autre part, il n’aspire plus qu’à l’inconnu.

D’après Martinez, si pour les Etres Pervers il n’est plus possible de réintégrer le royaume d’origine avant de nombreux cycles, l’homme connait une déchéance moindre et malgré une soumission momentanée au mal, il peut réintégrer plus rapidement sa condition glorieuse.

"Ses lèvres deviennent ardentes comme l’étaient celles de Melmoth et il haletait après l’inconnu, car il connaissait tout".

"Il pouvait être encore un ange, il se trouvait être un démon".

L’expérience du pouvoir démoniaque aura servi à celui qui s’y est livré à prendre conscience de son état d’exil et de sa limitation matérielle. C’est par l’illusion,, le reflet même quand il devient parfois caricature que l’on peut accéder à la Réalité Suprême ou plutôt se mettre en route vers elle une fois le mirage dépassé.

"Après avoir été le démon pendant quelques jours, il n’était plus qu’un homme, image de la chute primitive consacrée dans toutes les cosmogonies".

"La puissance infernale lui avait révélé la puissance divine". Melmoth contient une allusion à Jacob Boehme qui reste très obscure. Balzac ne dit-il pas dans la préface du livre mystique que si L.C. de Saint-Martin avait donné la prédilection à Boehme sur Swedenborg, lui, il donnait la palme au voyant suédois, car au théosophe allemand, il ne comprenait rien. Il se peut qu’il y ait un brin d’humour de la part de Balzac dans cette introduction sur Boehme.

On peut prendre au sérieux le message hermétique et se moquer de son obscurité.

"Cet estimable jeune homme a été emporté dans la planète Mercure, dit le premier clerc à un démonologue allemand.
 Oui, Monsieur, reprit l’allemand
.

Cette opinion s’accorde avec les propres paroles de Jacob Boehme en sa quarante huitième proposition sur la "Triple Vie de l’Homme" où il est dit que si Dieu a opéré toutes choses par le FIAT, le FIAT est la secrète matrice qui comprend et saisit la nature que forme l’Esprit de Mercure et de Dieu.

 Vous dites, Monsieur ?

Si cette phrase a un sens aux yeux de Balzac, le non spécialiste en démonologie qui n’a pas l’honneur, qui plus est, d’être un exégète de Boehme, ne saurait comprendre. Le démonologue argumente ensuite de la véracité de son affirmation, non par un raisonnement logique, mais par la précision de la référence bibliographique et en se protégeant derrière l’autorité du théosophe français L.C. de Saint-Martin.

 "Vous pourrez vous convaincre de la vérité de cette citation, reprit l’allemand en lisant la phrase dans la page 73 du Traité de la Triple Vie d’un Homme imprimé en 1809 chez Monsieur Migneret et traduit par un philosophe grand admirateur de l’illustre cordonnier".

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Célestin Valois

 

 Le portrait en tête d’article représente Mathurin, l’auteur de "Melmoth". Il provient du site http://www.pagedepot.com/.
 L’illustration de Mesmer est tirée du site : http://www.smithsonianmag.si.edu/.

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La volonté et son utilisation démoniaque
31 janvier 2007, par des internautes amis de Sophia

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