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Honoré de Balzac
II - Thèmes martinistes chez Balzac
D - La science
Rationalisation du mystère
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Rationalisation du mystère
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Cet article s’inscrit dans le cadre d’une vaste étude intitulée "Balzac et le Martinisme". Pour en consulter le plan. Pour revenir à la page précédente... Si "Seraphîta" est le livre mystique pour les croyants, "Louis Lambert" est pour les voyants. C’est là toute la différence entre la mystique et la gnose. La gnose se veut une approche scientifique du sur-naturel. En étudiant les conceptions scientifiques de Balzac avec "La Recherche de l’Absolu" et "Louis Lambert", nous aurons une bonne introduction à la recherche sur le langage de l’écrivain. Elle tient, nous le verrons, de l’amusement intellectuel et de la magie invocatoire. "C’est un vrai voyant" avait dit Madame de Staël de Louis Lambert. Il manifeste son être intérieur mais davantage par la VOLONTE que par l’AMOUR quoique ce soit l’Amour qui lui permette l’accomplissement ultime, grâce à sa rencontre avec Pauline de Villenoix. Il est gnostique plus que mystique, par l’usage poussé de sa volonté et de sa pensée, il fait état de remarquables facultés psychiques. Il est convaincu de la réalité du phénomène psychique, grâce à une prédisposition pour le manifester dès sa jeunesse, il cherchera par la suite à se l’expliquer et à le rationaliser dans son "Traité de la Volonté". Très tôt, il a la preuve de l’existence de l’autre monde par cet évènement survenu dans son enfance. Son bisaïeul maternel, esprit oraculaire, avait montré qu’il était en contact permanent avec sa défunte épouse alors que lors d’un conseil de famille réuni pour une question judiciaire délicate qui se présentait à ses parents, le vieillard était allé lui-même lui demander conseil. Le dénouement annoncé par la morte s’est effectivement réalisé, nous nous trouvons donc devant un cas similaire à celui précédemment étudié d’Ursule Mirouët et de son parrain. Le jeune Louis Lambert montre une précocité hors du commun puisqu’il lit dans la Bible à cinq ans. A douze ans, il a une pénétration intellectuelle qui lui permet de se représenter comme réellement les choses qu’il pouvait lire. Comme Madame de Mortsauf qui connaissait la vie par l’intuition du coeur malgré sa grande solitude, lui, embrasse tout par sa voyance et son intelligence. Est-ce le don de seconde vue que possédait lui-même Balzac ? Les étudiants en occultisme savent que l’une des clés du pouvoir psychique est la visualisation. Or, cette dernière faculté s’acquiert par un accroissement du sens de l’observation et par l’entraînement de la mémoire. Ces étapes ont été naturellement franchies par Louis avec aisance. "... Enfin, il possédait toutes les mémoires : celles des lieux, des noms, des mots, des choses et des figures". "Non seulement il se rappelait les objets à volonté, mais encore il les revoyait en lui-même, situés, éclairés, colorés comme ils l’étaient au moment où il les avait aperçus." "Soudain, je rentre en moi-même et j’y trouve une chambre noire où les accidents de la nature viennent se reproduire sous une forme plus pure que la forme sous laquelle ils sont d’abord apparus à mes sens extérieurs". C’est ce pouvoir de visualisation qui permet d’éveiller l’être intérieur et, par suite, de le libérer par la Volonté afin qu’il soit libre d’agir et de percevoir sans l’entrave de l’être objectif. La loi occulte de l’analogie opère ainsi. La force qu’il utilise pour faire surgir la réalité dans un monde intérieur est la même qui lui permet de se déplacer et de visiter des lieux jamais vus objectivement. "Mais j’ai vu cela cette nuit en rêve" lorsque lors d’une promenade il reconnaît un paysage : "Si le paysage n’est pas venu vers moi, ce qui serait absurde à penser, j’y suis venu". Si la séparation des deux natures se fait spontanément pendant le sommeil en tout un chacun, seuls les êtres avancés dans la voie de l’esprit ont une conscience et un souvenir marquant de l’expérience. C’est le cas de Louis, mais pour que le même phénomène se produise à l’état de veille d’une manière plus dirigée et consciente, il faut appliquer toute sa force de volonté. "Or, si mon esprit et mon corps ont pu se quitter pendant le sommeil, pourquoi ne les ferais-je également divorcer pendant la veille ?" Progressivement, il semble que l’être extérieur de Louis est un support sur lequel l’être intérieur s’impose dans toute sa force, elle semble même l’écraser et affecter fortement son entourage. A vrai dire, le narrateur est fasciné par la puissance de Louis. Son front lui parait crever sous l’effet du génie, il lui semble qu’il plane en Maître sur le paysage avec audace, les organes, surtout les yeux, projettent toute cette force autour de lui-même. Cependant, cette puissance auguste et spectaculaire lui est peu d’utilité, et se manifeste de façon démonstrative à l’entourage malgré lui et souvent à ses dépends. Ainsi, par exemple, va-t-il tâter de la férule chaque fois qu’il accable le père régent d’un bref et terrible regard, au début inconscient, en réponse à ses provocations. Comme nous l’avons remarqué plus haut dans cette étude, les êtres de pouvoirs ont souvent une extrême sensibilité qui les expose plus que d’autres à la souffrance. Cette sensibilité est mise à rude épreuve dans l’ambiance du collège de Vendôme. Les exhalaisons d’un air vicié par manque de renouvellement indisposent Louis et Balzac précise ici que le sens de l’odorat est étroitement lié au système cérébral. La Volonté est une force qui peut être projetée à l’extérieur du corps comme dans l’exemple précédent du coup d’oeil foudroyant. Mais elle peut aussi être mobilisée dans le corps d’une façon non moins spectaculaire : provoqué par ses camarades qui abusent de son apparente faiblesse physique, Louis fait une démonstration de force en immobilisant une table avec ses bras et en demandant à deux élèves de la lui arracher ... s’ils peuvent. La table ne bouge pas ! Dans Louis Lambert, Balzac tente un exposé scientifique du Sur-Naturel. Le postulat de base est l’existence d’une nature supérieure, ou intérieure Divine. Les cinq sens de l’homme ne sont que la projection émoussée et fragmentée d’une faculté unique qu’il nomme "voir" qui prend racine dans l’être intérieur et la Volonté. Aphorisme VI : "La Volonté s’exerce sur des organes vulgairement nommés les cinq sens, qui n’en sont qu’un seul, la faculté de voir. Le tact, comme le goût, l’ouïe, comme l’odorat, est une vue adaptée aux transformations de la SUBSTANCE que l’homme peut saisir dans ses deux états, transformée et non transformée". Le terme substance nous parait pouvoir représenter ce que L.C. de Saint-Martin nomme SOPHIA. C’est la Matrice Universelle, la Lumière Originelle. Cette substance, nous dit Lambert, est incessamment engendrée par le Verbe, la Parole. La Théogonie Hindoue révèle ce mystère quand elle décrit le Non Manifesté sortant de lui-même pour engendrer la création. L’Action est le Verbe, le Seigneur, Ishwara, la Manifestation est la Shakti ou Energie, l’Un est devenu Deux, Dieu le Père et Dieu la Mère, Purusha et Prakriti, Etre et Devenir. Cette Shakti est la matière primordiale, Materia Prima disent les alchimistes, Lumière en mouvement, Energie de Manifestation. La matière que nous connaissons n’est qu’un état de cette énergie et là, nous rejoignons la science moderne avec l’équivalence E = MC2. Cependant, toute la science classique matérialiste qui repose exclusivement sur l’expérience de la perception objective se trouve mise en défaut par ce postulat. Si la pensée, produit de la volonté, affecte la substance, nos perceptions sensorielles ne sont pas si fiables que la science l’admet et toute la connaissance scientifique acquise de cette manière est relative. En cette fin du XXème siècle, le sujet est d’actualité puisque l’avant garde du monde scientifique, notamment en physique, considère que l’on ne peut séparer l’observateur de la chose observée, l’expérimentateur induit toujours l’expérience en physique des particules. [1] Des chercheurs en physique, pour théoriser leurs découvertes, font appel à la Théosophie Hindoue ou bien même à .... Jacob Boehme ! C’est le cas de Barbara Nicolescu qui trouve chez cet auteur une vision du Réel conforme à ses propres découvertes. "Par sa constante alimentation, la Volonté tient à la SUBSTANCE qu’elle retrouve dans toutes les transmutations en les pénétrant par la Pensée qui est un produit particulier de la volonté humaine, combinée avec les manifestations de la substance". Tout le monde créé est une manifestation de la substance qui diffère en aspect en fonction de la vibration, du nombre, c’est-à-dire en termes plus scientifiques de la fréquence. "Pour lui, tout provient donc de la SUBSTANCE dont les transformations ne diffèrent que par le NOMBRE par un certain dosage dont les proportions produisent les individus ou les choses que l’on nomme Règnes". C’est là la clé de l’Unité de la matière que cherche l’alchimiste Balthazar Claës. Mais c’est aussi la clé de l’unité esprit matière, tout ne diffère que par la fréquence vibratoire du visible à l’invisible. Le principe de la substance, ce qui est à l’origine, c’est donc la matière glorieuse ou Esprit d’où procède la puissance dite Sur-Naturelle. La Connaissance du Nombre donne le Pouvoir sur la manifestation correspondante. Elever le taux vibratoire, c’est dominer la matière. "Quand la SUBSTANCE est absorbée en un nombre suffisant, elle fait de l’homme un appareil d’une énorme puissance, qui communique avec le principe même de la SUBSTANCE et agit sur la nature organisée à la manière des grands courants qui absorbent les petits". Tout ce qui est classé dans le Sur-Naturel provient de la nature supérieure de l’homme. Plus l’on parvient à dégager son être intérieur de l’enveloppe charnelle "phénomène nommé chez les Hindous Tokeiade", dit Balzac, plus ses pouvoirs psychiques sont étendus mais selon l’orientation de la volonté de l’occultiste, ils se manifestent en bien ou en mal d’après l’aspiration intérieure propre. L’attitude exclusivement scientifique dépourvue d’idéalisme humanitaire ou spirituel lorsque l’on se penche sur ces phénomènes psychiques, permet de découvrir et de maîtriser des lois mineures. L’utilisation du pouvoir obtenu à des fins égocentriques confine à la magie noire et au démonisme, c’est l’idée de Lambert. L’intellect a été et peut être encore l’occasion de chute. Une approche du surnaturel qui n’est pas basée sur une philosophie unitaire mais qui est purement phénoménale et sérielle produit l’arsenal dangereux des sciences occultes, démonologie, astrologie judiciaire, arts divinatoires. L’erreur, le mal toujours basé sur la répétition du péché originel tel que nous l’avons compris à travers la doctrine de Martinez, c’est de créer, en se séparant de la source, sous l’impulsion du doute et de l’intellect mauvais. C’est un péché contre la loi d’Amour, base du véritable processus de manifestation. "D’autres hommes, moins poétiquement religieux, froids et raisonneurs, charlatans peut-être, enthousiastes du moins par le cerveau, sinon par le coeur, reconnaissent quelques uns de ces phénomènes isolés, les tiennent pour vrais, sans les considérer comme les irradiations d’un centre commun". Le narrateur nous dit que Lambert lui paraissait dans leur temps de vie collégiale, un géant du coeur et de la raison. Lorsque Louis rencontre Pauline, il se produit un déséquilibre complet. Il passe de l’amour fou à la froideur la plus totale sans pouvoir de contrôle sur ce mouvement. Il subit à l’extrême l’ambivalence de la nature humaine. Pauline, véritable ange femme lui inspire les élans les plus sublimes. Cet état est impossible à tenir pour un homme qui n’est pas encore divinisé. La chute en est d’autant plus terrible, Louis est à la merci du démonisme. "En ces moments, du moins je le crois, se dresse devant moi je ne sais quel génie raisonneur qui me fait voir le néant au fond des plus certaines richesses. En ces moments terribles où le mauvais ange s’empare de mon être où la lumière divine s’obscurcit". |
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– Le portrait de Madame de Staël tiré du site : [1] C’est le principe de l’incertitude d’Heisenberg. |
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