Les rédempteurs ou les rédemptrices
jeudi 3 juin 2004

par Célestin Valois


Cet article s’inscrit dans le cadre d’une vaste étude intitulée "Balzac et le Martinisme". Pour revenir à la page précédente...

Balzac semble s’intéresser autant aux questions de généalogie que Martinez :

"Comme le dit la sublime page des généalogies publiques, en mille ans trois familles, Sem, Cham et Japhet purent couvrir le globe de leurs enfants" (Balzac).

"Ce qui nous apprend l’origine du cérémonial des différents cultes qui sont opérés et qui s’opèrent journellement sur la terre, vient des quatre premiers nés de la seconde postérité de Noé qui ont transmis et fait transmettre ce qu’ils avaient reçu à ce sujet à la postérité de leurs premiers frères, Sem, Cham et Japhet" (Pasqually).

Ursule Mirouët, comme madame de la Chanterie, Séraphîta, Louis Lambert, madame de Mortsauf et madame Claës échappent à la condition humaine ordinaire. Tous ces êtres sont, soit féminins, soit androgynes, même Louis Lambert, dans sa fragile constitution, est comparé par son camarade à une femme. En eux domine, soit l’aspect Volonté, Pensée, soit ils incarnent l’Amour, la Charité et le Sacrifice.

Tous sont naturellement au-dessus de l’amour sexuel, ou s’efforcent d’y parvenir. Les sentiments amoureux de madame de Mortsauf, d’Ursule ou de madame Claës sont teintés de maternité.

D’ailleurs, madame de Mortsauf a un pouvoir de voyance et de guérison qui proviennent de son instinct maternel qu’elle manifeste aussi bien pour son mari qui la vampirise, que pour ses enfants ou Félix. C’est ainsi qu’elle a sauvé de la mort le petit Jacques en le tenant pendant des nuits sous ses mains jointes allant jusqu’aux portes du sanctuaire pour demander sa vie à Dieu.

Comme Félix s’étonne de la sagesse des conseils qu’elle leur donne, Henriette lui répond que ce même don de seconde vue qui lui permettait de déceler dans l’aura de ses enfants, selon qu’elle est lumineuse ou trouble, leur état de santé, ce don se manifeste par une voix qui lui dit ce que Félix doit faire.

Madame de Mortsauf est parvenue à séparer, dans le creuset de l’athanor alchimique, le pur de l’impur et elle peut temporairement dégager son corps glorieux de la matière :

"Souvent, lorsque perdue dans l’infini de la lassitude, mon âme dégagée loin du corps voltigeait loin de la terre, je pensais que ces plaisirs étaient en moyenne d’annuler la matière et de rendre l’esprit à son vol sublime".

Les facultés spirituelles de madame de Mortsauf se manifestent constamment à l’égard de Félix, ne lui dit-elle pas que sa pensée l’accompagne en permanence ? Aussi est-elle capable de prévoir la destinée de leur amour et le départ de Félix.

Moribonde, elle sent Félix approcher de la maison, ce qui provoque la surprise du comte lorsqu’il vient à la rencontre de son hôte dont la visite vient de lui être annoncée par sa femme.

Les facultés spirituelles de la femme viennent de son identification avec SOPHIA, l’archétype féminin, la lumière de la mère Suprême des Hindous.

"Ah ! Nathalie, oui, certaines femmes partagent ici bas les privilèges des Esprits angéliques et répandent comme eux cette lumière que Saint-Martin, le Philosophe Inconnu, disait être intelligente, mélodieuse et parfumée". C’est la lumière intellectuelle de l’éternelle sagesse et sa manifestation par le canal d’un être pur prend des caractéristiques sensorielles de sons, de couleurs et de parfums.

Madame Claës brûle, pour Balthazar son mari, d’un amour tout empreint de dévotion divine et elle lui dit qu’elle l’a longtemps confondu avec le Seigneur de toutes choses "je suis à toi comme je suis à Lui". C’est cette dévotion et cette pureté qui font d’elle un être angélique. Sa fille, comme la nièce, est souvent qualifiée d’ange dans le roman. Emmanuel, lui-même, a quelque chose de féminin et d’angélique qui lui permet de deviner l’amour de Marguerite.

Il doit cette nature sensible à l’éducation de l’abbé de Solis. Ce mystique s’était installé en Flandre, car c’est là que les écrivains illuminés et quêtistes firent le plus de prosélytes.

Madame Claës doit à sa nature passionnée l’extension considérable de sa perception auditive qui lui permet de percevoir les pas dans la maison. Sa disgrâce physique est comme compensée par une grâce spirituelle qui lui permet d’abolir l’espace pour s’unir à son autre moi, nous dit Balzac.

Cette perception est non seulement une extension des facultés sensorielles mais une possibilité de lecture dans la pensée. Madame Claës, par exemple, lit dans la pensée de sa fille pour savoir si elle éprouve le moindre penchant pour son cousin le notaire et se rassure aussitôt : "elle ne vit en elle que la plus parfaite indifférence".

L’abbé de Solis, parallèlement et plus encore, peut lire dans les âmes, puisqu’il peut dire que l’âme de Madame Claës est presque sans péché. Le surnaturel est directement esquissé dans ce roman, mais cependant sa présence est indéniable.

Voici encore un détail où l’idée martineziste des généalogies sauvées ou déchues apparaît dans "Le Lys dans la Vallée".

Après sa liaison avec Lady Dudley, le jeune de Vandenesse écrit à Madame de Mortsauf pour se faire pardonner :

"Elle est une femme de la terre, une fille des races déchues et tu es la fille des cieux, l’ange adoré". Et il y a aussi l’aveu à la fin du roman "J’étais aussi une de ces filles de la race déchue que les hommes aiment tant".

Dans "Ursule Mirouët", Balzac parvient à mettre en scène le surnaturel d’une façon plus visible, tout en évitant trop de sensationnel. L’une de ces interventions est celle de la conversion de l’oncle Denis Minoret qui, sous l’influence candide de sa filleule, est étourdi d’une grande lumière à la manière de Saint Paul sur le chemin de Damas.

C’est tout un ensemble de faits surnaturels qui concourent à la conversion du docteur rationaliste. L’un de ses pairs, le docteur Bouvard, jadis discrédité par le corps médical pour avoir donné foi au Mesmérisme, apparaît brusquement dans sa vie après des années d’absence. Il invite son collègue à Paris pour lui donner preuve des pouvoirs de l’esprit par la démonstration d’un thaumaturge Swedenborgien.

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Les rédempteurs ou les rédemptrices
23 mai 2006, par Bayazid

Cher Célestin,

Vous insistez, dans cette partie de votre étude, sur un gnosticisme très « tendance Cathare », tendance que pouvait sembler manifester parfois Balzac dans ses romans, notamment à propos de l’amour des femmes.

S’il est vrai que ses héros vivent leurs amours dans la dualité : l’amour sublime pour les femmes nobles, belles, « éthérées » (Madame de Morsauf, la duchesse de Langeais), opposé à l’amour charnel pour des femmes plus « terriennes » (Lady Dudley, Paquita), Balzac, ne l’oublions pas, est aussi un « physiologiste ».
On peut être gnostique, et aspirer à l’unité dans ce monde manifesté, et surtout à l’unité corps, cœur, âme, esprit.

C’est ce qu’il a écrit maintes fois, dans plusieurs de ses romans (« trop souvent les hommes jouent cette partition de l’amour à deux instruments. Ah ! Mais trouver en une seule femme...etc... » je crois que cette réflexion est exprimée par d’Arthez dans « Les secrets de la princesse de Cadignan »).
Balzac aurait pu avoir médité sur l’arbre des séphirots, et sur le tantrisme...

Par contre, il était conscient de l’impermanence terrestre, et sa gnose était surtout dans l’aspiration de son âme vers la Permanence. Et là, ce sont ses aspects « swedenborgiens » qui s’expriment.
Ecoutons Séraphitus-Séraphita : « Les passagères félicités des amours terrestres sont des lueurs qui trahissent à certaines âmes l’aurore de félicités plus durables, de même que la découverte d’une loi de la nature en fait supposer, en quelques êtres privilégiés, le système entier. Notre fragile bonheur d’ici-bas n’est-il donc pas l’attestation d’un autre bonheur complet, comme la terre, fragment du monde, atteste le monde ? ». Comment mieux exprimer les visions que procurent la visite de l’Ange ?


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