L’histoire
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Cet article s’inscrit dans le cadre d’une vaste étude intitulée "Balzac et le Martinisme". Pour revenir à la page précédente... Le point de vue de certains occultistes sur l’histoire et l’évolution des sociétés est que, comme il en est de la vérité naturelle qui est une vérité cachée, l’histoire elle-même est mue par le dedans, ce qui est connu comme cause historique, l’objet habituel de l’historien n’étant que le résultat d’une cause cachée. Ainsi, bien que l’humanité soit relativement libre sur le plan individuel, elle subirait sans le savoir, un très fort déterminisme du point de vue collectif du fait de l’action souterraine et permanente des sociétés secrètes gouvernées par les Supérieurs Inconnus. C’est la vision, par exemple, de Saint-Yves d’Alveydre lié au mouvement martiniste du XIXème siècle qui établit des contacts avec l’Agartha, ce Royaume secret des Sages présidant à l’évolution de notre Monde . Sur les prémices de l’existence de ce règne supérieur à l’Humanité, mais caché d’elle, Saint Yves d’Alveydre reconstruit l’histoire humaine en conformité avec la mythologie hindoue des Ages ou Yugas. Il parle donc d’un âge d’or que nous aurions connu 70 000 ans avant Jésus-Christ, sous l’Empire Théocratique de RAM. L’histoire humaine n’est, de ce point de vue, qu’un long cheminement hors des principes originels de vie, par une progressive cécité spirituelle de l’humanité parallèle à une décadence de la science naturelle et surtout de la science sociale. Les forces de l’involution ont entraîné l’homme dans l’âge de fer, l’ère de Kali, mais néanmoins l’humanité subit toujours l’influence des gardiens de la Connaissance et son histoire est celle de cette lutte sourde entre les deux forces antagonistes de l’évolution et de l’involution. Le sujet de l’histoire est l’une des grandes préoccupations de l’élite intellectuelle européenne du XIXème siècle avec Hegel, Marx et Engel pour la philosophie ; Goethe et le courant romantique allemand en littérature ; Lamartine, Hugo, Nerval, Balzac en France pour ne citer qu’eux. On peut dire, alors, que la littérature s’interroge sur l’action de la Providence dans l’histoire. La démarche de Lamartine très subjective, est aussi une recherche sur le temps, elle s’aventure jusqu’aux frontières du monde invisible et, comme Hugo avec les Tables de Guernesey, elle envisage la métempsychose. Si Hugo met Dieu en scène dans sa "Légende des siècles", Dumas, à la recherche des petits ou grands secrets de l’histoire, n’hésite pas à se saisir du fantôme de Cagliostro pour faire son "Joseph Balsamo". Quant à Nerval, sur la trace des romantiques allemands, il est hanté, à la fois par Le Destin est, en fait, la Justice Imminente, en d’autres termes ce que les Hindous appellent le karma, la loi d’action et réaction et de juste rétribution des actes. Les malheurs qui affligent un être, comme les bienfaits qui lui échoient, sont le résultat de ses propres actes et même de ses pensées. La Providence vient directement de la Volonté de Dieu, c’est une manifestation spéciale de son Amour lorsque l’humanité a besoin d’aide. Elle se manifeste principalement a travers les envoyés divins, les Avatars comme disent les Hindous, pour le chrétien son incarnation est Jésus, fils de Dieu, Sauveur des hommes. Le martinisme conçoit l’action de la Providence dans tous les envoyés du Père, c’est ainsi que les nomme Papus dans son livre sur la réincarnation. Martinez de Pasqually, le Maître Philippe de Lyon en sont des exemples. Seraphîtus, Seraphîta", "Madame de la Chanterie", "Le Médecin de campagne", "Louis Lambert", sont des personnages Balzaciens qui s’approchent de ce modèle. Revenons à l’action du Destin dans "La Comédie Humaine" : "Ursule Mirouët" nous donne un exemple édifiant de l’accomplissement du Destin. Le tableau final du bonheur idyllique des deux époux est la récompense méritée pour toutes les vertus de courage, de patience et de discernement qu’ils ont déployé pendant la durée de leur longue mise à l’épreuve. "Quand, en voyant passer aux Champs-Elysées une de ces charmantes petites voitures basses appelées "escargot", doublées de soie grise, de lin semé d’agréments bleus, vous y admirez une jolie femme blonde, la figure enveloppée comme d’un feuillage parmi des milliers de bourdes montrant des yeux semblables à des pervenches lumineuses et pleines d’amour, légèrement appuyée sur un jeune homme ; si vous étiez mordu par un désir envieux, pensez que ce beau couple, aimé de Dieu, a d’avance payé sa quote-part aux malheurs de la vie. Ces deux amants mariés seront vraisemblablement le Vicomte de Portendvere et sa femme. Il n’y a pas deux ménages semblables dans Paris". Les principes sacrés de la science sociale sont théocratiques et Saint Yves d’Alveydre les résume dans le mot "Synarchie". D’autres auteurs ont été missionnés pour parler des Supérieurs Inconnus, notamment René Guénon avec son Roi du Monde et surtout la Grande Initiée H.P. Blavatsky. Son oeuvre maîtresse, "La Doctrine Secrète" fait état d’un contact avec une source de connaissance extraordinaire. Le dernier messager du gouvernement occulte du monde est sans doute Raymond Bernard, avec "Rencontres avec l’insolite" et "Les Maisons secrètes de la Rose-Croix", où sont révélées les modes actuels d’action des Supérieurs Inconnus. Ce facteur inconnu agissant dans l’histoire par ses intermédiaires humains et supra humains est considéré comme une émanation des desseins de Dieu, de la Volonté de Dieu ou de la Providence. On connait le succès qu’a eu le martinisme à la cour de Russie. Le mysticisme, on le sait, avait grande audience à la cour des tsars. Papus et Philippe précédèrent Raspoutine auprès des époux royaux. Le mysticisme Polonais, la mathématicien Wronski auquel Balzac fait souvent référence, a fréquenté la cour de Nicolas 1er. Alexandre II aurait été le Supérieur Inconnu de la Loge de Saint-Pétersbourg comme Alexandre lui-même avait reçu cette distinction. Beaucoup de princes balkaniques étaient, en 1914, martinistes nous dit V.E. Michelet, lui-même martiniste dans "Les Compagnons de la Hiérophanie". Ignorants de cette complicité initiatique qui les attachaient à la France, les dirigeants français d’alors, nous dit-il, ne savent pas profiter de cet avantage. L’influence martiniste a été telle en Russie que certains auteurs vont même jusqu’à supposer que les dirigeants actuels du Kremlin, derrière leur couverture idéologique communiste, agissent en fait au nom d’un idéal synarchiste martiniste. Cela serait peu vraisemblable, mais il est vrai que les idées synarchistes ont souvent été déformées, dénaturées et récupérées par des politiciens peu scrupuleux. Lors de la révolution française, il semble bien que les sociétés secrètes aient joué un certain rôle. Les initiés étaient divisés en deux camps, l’un essayant de préserver l’héritage autocratique, l’autre travaillant à faire tourner la roue de l’histoire. On a beaucoup écrit sur ce sujet et les avis sont partagés, Roger Priouret dans son livre "La Franc-Maçonnerie sous les lys" tend, par exemple, à minimiser le rôle que l’on a bien voulu accorder à cet Ordre dans les événements. A vrai dire, l’action des Supérieurs Inconnus est difficilement identifiable car, discrète, indirecte et respectant le libre arbitre des Nations. Ils exercent un déterminisme très subtil, car plus idéologique, voire magique, que politique et financier. La venue en France du Grand Mage et théurge Espagnol Martinez de Pasqually eut peut être modifié le destin de la France s’il avait pu bénéficier de la même influence que connurent Papus et Philippe en Russie, par exemple. Philippe accordait sa protection à la Russie et il put prolonger le régime du tsar, sa mort coïncide avec la Révolution de 17 qui signifie la mise en sommeil, sur le plan spirituel, de ce peuple à l’âme profondément mystique. La fin du roman "Ursule Mirouët" est pour chaque personnage le déroulement de rétribution karmique. Goupil, l’auteur de la cabale contre Ursule s’est fort heureusement pour lui, retourné à temps vers le bien en dénonçant l’oncle Minoret Levreau. Il réalise son idéal d’ambition sociale, il s’est repenti et compense ses erreurs passées en rendant service à tout le monde. Ceci, cependant, ne le rend pas intégralement quitte de sa dette envers la loi morale et il expie sa faute dans ses enfants "mais il est puni dans ses enfants qui sont horribles, rachitiques, hydrocéphales". L’oncle Minoret Levreau, usurpateur de la fortune d’Ursule, est puni dans l’accident mortel de son fils unique. Et ce coup fatal du Destin, cause de son obstination dans l’erreur, est tel qu’il opère en lui une complète transformation. Il a été totalement anéanti psychologiquement. Victime du destin, c’est-à-dire de son propre karma, il devient un instrument de la Providence. Il renonce à tout et se fait humble serviteur. "Minoret intervient au contrat pour donner à Mademoiselle Minoret son livre du Louvre et vingt quatre mille francs de rente sur le Grand Livre, en ne gardant de sa fortune que la maison de son oncle à six mille francs de rente. Il est devenu l’homme le plus charitable, le plus pieux de Nemours, il est marguillier de la Paroisse et s’est fait la Providence des malheureux. Les pauvres ont remplacé mon enfant, dit-il". Dans l’attente de l’expiation définitive, le châtiment commençait déjà à imprimer la marque sur le coupable. Comme toujours chez Balzac, le moral et le physique sont en étroite relation, aussi nous décrit-il toutes les transformations physiques que le remords faisait subir au corps de Minoret, le rongeant comme une véritable maladie. "Mais voici le remords sans l’expiation, le remords tout pur, avide de sa proie et la déchirant". Sa femme, dont la nature était très funeste, sombre dans la folie. L’action du destin est implacable, incontournable, nul n’est censé ignorer la loi, la leçon d’Ursule Mirouët est sans équivoque. L’action de la Volonté, du Destin et de la Providence dans l’histoire individuelle, familiale et collective est illustrée dans l’ensemble de la Comédie Humaine, le principe même du retour des personnages s’y prête et constitue la trame narrative du récit dans le temps, tout comme les forces de la politique, de l’argent et de l’amour alimentent le jeu de la vie sociale. L’acteur principal de l’histoire, au fond, c’est Dieu auquel s’identifie l’écrivain démiurge. "C’est le doigt de Dieu, nous dit Balzac, qui fait de l’imbécile heureux qui attendait son fils à la gare au début de cette histoire, un être pieux et voué aux pauvres." L’individu s’est prodigué dans le collectif répondant plus véritablement sa vocation de créature divine. "Les pauvres ont remplacé mon fils". Le Bien prend parfois le moyen très long et sinueux de ce que nous appelons le mal pour arriver à ses fins, l’envers et la réalité du mal c’est le bien ; tout est accomplissement du divin à travers ses créatures quand bien même elles résistent à Sa loi. C’est cela qui donne légitimité au secret et le génie de l’écrivain est celui du voyant qui, par la fiction de son imagination, montre l’envers de l’histoire que l’humanité ordinaire ne voit que de l’extérieur. Personne ne peut soupçonner que la maison Nucingen est le bailleur de fond des "Frères de la Consolation", mais l’histoire individuelle construit l’histoire collective et c’est par le récit de Monsieur Alain que l’on comprend le pourquoi de cette collaboration. Là encore, le Destin concourt à la Providence, car c’est par gratitude envers Monsieur Alain que la banque Nucingen est au service de l’occulte société. La puissance du secret dans la manifestation est à ce point considérable qu’elle est une condition observée intuitivement par tous ceux qui ont de grands desseins, quelle que soit la nature idéale ou "égoïste" de leur motivation. Cette loi du silence est observée même par ceux qui n’appartiennent pas encore consciemment à Dieu comme, par exemple, le Docteur Minoret qui agit comme "Les Frères de la Consolation". "Minoret, qui fut bien regretté dans son quartier, était un des hommes les plus bienfaisants de Paris et, comme Lorrey, gardait un profond secret sur ses actes de bienfaisance". Le docteur devra sa conversion à la foi de sa filleule Ursule, à la démonstration occulte d’un magnétiseur Swedenborgien et à la diplomatie de son ami curé. On peut considérer que c’est là ce qui lui a été accordé par le Destin en faveurs pour son passé de bienfaisance. Mais l’acte de foi définitif lui vient comme une grâce. Toute l’histoire se meut donc vers un point omega, comme dirait Theillard de Chardin. Quel que soit le Destin que se forge un être, par le bon ou le mauvais usage de sa Volonté, il est conduit en définitive à la grâce. Le sens de toute histoire et de tout devenir réside dans cet accomplissement final en Dieu par les expériences existencielles qui permettent presque l’économie de la foi. Nous en avons une illustration éloquente ou au contraire muette, dans le récit "La Messe de l’Athée". Le docteur Desplein, que son élève Branchon découvre agenouillé dans la chapelle de la Vierge à Saint-Sulpice, est un athée convaincu. Pourtant, cet humaniste désabusé, par reconnaissance envers le porteur d’eau qui lui a permis de faire ses études de médecine, participe à un rite religieux qui avait une grande valeur sacrée pour son tuteur. Il est pour lui dépourvu de toute signification transcendante, mais est-ce sûr ? Je dis avec la foi du docteur : "Mon Dieu, s’il est une sphère ou tu mettes après la mort ceux qui ont été parfaits, pense au bon Bourgeat ; et s’il y a quelque chose à souffrir pour lui, donne moi ses souffrances, afin de le faire entrer plus vite dans ce que l’on appelle le Paradis". Balzac, psychologue et mystique, envisage un déterminisme dans l’existence humain dont le sociologue prend acte et le fait concevoir un système social en accord avec ce jeu de la Loi Divine qui en favorise l’exécution. Car il faut que la justice humaine se modèle sur celle de Dieu et que dans la société chacun reçoive ce qu’il mérite et soit en mesure d’être le plus utile à l’ensemble. Les conceptions sociales de Balzac sont assez proches des principes de la théocratie synarchiste des martinistes. |
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L’illustration de l’Archéomètre est extraite du site http://www.crystalinks.com. |
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