"J’éteins la lumière, où va-t-elle ?"
Proverbe japonais



Nuits (suite)
samedi 23 décembre 2006

par Abd Al Haqq

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Nuit du chemin

Par quelle route le Vivant m’a-t-il mené loin de moi-même ? Quelle fontaine bavarde a-t-elle ainsi révélé ma soif par son chant clair dans le couchant de l’été torride ? Quelle brise porta jusqu’à mes narines le parfum indicible des fleurs de paradis ? Je ne sais ! Je ne sais en moi que ce désir, cette quête. Je ne sais que le frissonnement de l’Etoile dans le ciel nocturne qui m’a mis en route. Je ne sais que le bonheur du pèlerinage et l’espoir de la rencontre chaque nuit promise chaque jour remise. Je ne sais que l’Un qui se dit par le vent et par la pluie et qui me dit : "Viens !". Le magnétisme des astres dessine des routes dans mon coeur et dans l’invisible du temps. J’avance les yeux fermés vers ce destin qui m’est promis depuis avant ma naissance d’homme. Vêtu d’orages et de soleil, je vais sur des chemins que Lui seul sait, passant au-dessus des nuages, gravissant les marches de l’âge et des épreuves. Je ne puis ni me taire, ni crier, le souffle court, je ne peux qu’aimer.

Nuit obscure

Autre nuit encore celle des sens dont parle Saint Jean de la Croix, nuit où sa maison étant « accoisée » il sort « à l’obscur et en cachette ». En cachette des hommes, mais aussi de l’homme rationnel qui veille de jour sur son cœur. « Nuit bénie » où nul ne peut le voir et où lui-même ne regarde rien que la lumière qui brille en son cœur. Nuit dans laquelle l’attend Celui qu’il connaissait bien :

« Oh ! nuit plus aimable que l'aurore
O nuit qui as uni
L'Aimé avec l'Aimée
L'Aimée en l'Aimé transformée. »

C’est par la « nuit obscure » que l’on doit passer pour découvrir l’unicité vécue, non comme une idée, mais comme une expérience initiatique, une expérience vitale. Il ne faut pas craindre de ne plus savoir car c’est ne sachant plus que l’on peut recevoir le Maître qui « suspendait tous mes sens », à condition de se « tenir coi et de s’oublier »...

"Comment se fait-il que rien ne soit plus obscure que la lumière, quand il n’y a pourtant rien de plus clair, puisqu’elle élucide et fait connaître clairement toute chose ? "
Marsile FICIN (1433-1499)

Nuit du monde

Ils vivaient debout, fiers, raides et forts comme des figures de proue face aux éléments, à la vague du temps, à la nuit de la mort. Ils ouvraient de leurs torses un chemin vers demain comme l’étrave fend les flots sombres. Mais ils priaient à genoux, tête basse, décoiffés, dans l’humilité profonde de leurs cœurs. Nos aïeux, ces hommes et ces femmes nous reconnaîtraient-ils pour tels parmi les humains ? Nous qui laissons en friche les terres qu’ils essartèrent, qui ruinons les coutumes et les traditions qui structuraient le temps et l’homme.

Ils connaissaient la peine et le bonheur car les deux sont complémentaires l’un de l’autre. Ce qui rend la vie belle, ce sont les irrégularités dans le continu, des discontinuités dans le régulier régulé. Des intervalles dans le quotidien qui t’absorbe, un rayon de soleil entre deux nuages qui fait un arc-en-ciel à la boutonnière du vécu, la pluie au plus torride de l’été.

Un autre monde est en gésine, il aura besoin d’humains de la trempe de nos ancêtres, de ceux qui bâtirent les cathédrales... il n’aura besoin que de ceux là, les autres mourront, guimauves resucées. Une sélection impitoyable sera faite par Dame Nature. Il en est ainsi dans les terriers lorsque les renards pullulent...

Mais nous ne sommes plus assez forts pour prier à genoux, nous n’avons plus nulle fierté à abdiquer devant l’Autel. Rien, qu’un désir effréné de jouissance guide le cœur de cet homme étal, plat, sans relief. Nulle honte non plus devant le viol et le massacre des enfants. Une nouvelle race de barbares est née. Elle pousse sur le fumier de nos lâchetés accumulées, nos démissions devant le mal. Il est trop tard pour relever le mur du jardin, notre sommeil fut trop profond. Il nous reste le devoir de protéger la flamme et les braises qui feront un autre foyer, demain, ailleurs. Nul ne sait où sauf Lui qui a déjà écrit les pages de notre destinée dans le grand livre du temps.

Il nous faut lever le camp de nos certitudes confortables et marcher dans la nuit vers une terre qui n’est pas même promise. Marcher à l’aveugle à tâtons dans un monde inconnu.

Nous ne verrons ni le lait ni le miel, ni la lumière du jour qui vient... mais marchons avec courage comme le firent avant nous ceux des siècles barbares : peut-être un nouveau Saint Colomban surgira-t-il de l’ombre au détour d’un chemin ?

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Nuits (suite)
16 mars 2008, par Isha

J’ai eu envie de revenir ! La nuit serait-elle source d’inspiration en même temps que de méditation ? Ne porte-t-elle pas en réalité toute la lumière derrière son sombre voile ?
La Nuit de St Jean est tellement "éclairée" ! Est-ce que Jean, s’il n’avait été toute lumière, aurait pu ainsi sonder la nuit ? cette nuit ne se tient-t-elle pas entre le corps et l’esprit, dans cette zone d’ombre où ni l’un, ni l’autre ne s’y retrouve tant que l’un et l’autre ne se sont pas ré-unis ?
Lorsque Jean dit "dès lors en effet que Dieu purifie ici les facultés sensitives et spirituelles de l’âme, ainsi que ses puissances intérieures et extérieures, il convient qu’elle soit dans le vide, la disette et l’abandon sous tous ces rapports ; aussi Dieu la laisse dans le vide, la disette et les ténèbres..." Et encore : "De même quand cette divine lumière de la contemplation, investit l’âme qui n’est pas encore complètement éclairée, elle produit en elle des ténèbres spirituelles parce que non seulement elle la dépasse, mais en obscurcit l’acte" .
Cette nuit là est purification en même temps que l’annonce de la délivrance totale. Cette Nuit, n’est pas la nuit. Cette Nuit là "se respire", se vit dans l’intensité du dialogue qu’elle déclenche entre l’âme et Dieu, cette âme que même la nuit ne peut détourner de Dieu et qui n’attend de réponse que de Lui.
Ces temps pascal nous sollicitent pour en sonder la profondeur et en même temps nous prépare à rencontrer notre Soeur, la Lumière toute prête à dire à sa Soeur la Ténèbre, bénissez le Seigneur. N’est-il pas plus belle promesse pour l’âme en attente de Dieu ?
Aussi je dis avec tous mes Frères et Soeurs en Humanité : "La nuit tombe Seigneur, ne t’éloigne pas de moi" ! (n’est-ce pas Jean qui dit cela ?)



Site : Nuits (suite)

Nuits (suite)
4 mars 2008, par Isha

Je découvre ce si beau texte,paru en 2006 et qui montre que le temps n’existe pas face à la lumière ; et je n’oserai rien y ajouter de peur de le ternir !

simplement dire que si le corps ne se plie plus pour se mettre en prière, très souvent le coeur lui est à genoux et prie dans le silence.

Dans la crypte à Lisieux , une affiche tout au fond qui rappelle la "nuit" de Thérèse - De la même façon que Jean de la +, elle en a fait l’expérience - peut être un dernier sursaut de ce qui fait notre humanité et en même temps fruit de la souffrance ? sans doute un moment de désunion de l’être et du Divin avant que les Noces puissent définitivement s’accomplir dans une Lumière qu’aucune nuit ne pourra plus jamais obscurcir ?
Ainsi, sans doute est le Mystère de Dieu qui attend l’âme sa "Bien Aimée"



Site : nuit du chemin

Nuits (suite)
19 février 2008, par

"Ma mère est le principe de la Conscience.Elle est Akhanda Satchidananda, Réalité indivisible, Conscience et Béatitude.Le ciel de la nuit entre les étoiles est parfaitement noir.L’eau des profondeurs océane est de même.L’infini est toujours mystérieusement noir.Cette obscurité est ma Bien-Aimée Kâli."Sri Ramakhrisna


Nuits (suite)
23 décembre 2006, par Célestin

Cher Abd Al Haqq

Je dois avouer que je reviens souvent aux aguets sur le site des Baladins afin de ne pas rater votre nouvelle prise de parole.Vos écrits nous emportent aux plus hauts niveaux de nous-mêmes.
Faire un commentaire à ces deux derniers textes merveilleux c’est en trop, alors je veux bien plus simplement vous exprimer ma gratitude et mon admiration.


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