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Avec Jean-Pierre Bayard : la Franc-Maçonnerie, les rites et le Compagnonnage...
lundi 26 février 2007

par Arkhghan


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Arkghan : Alors revenons tout de même à l’Eglise de Jean avec une question sur les rites de la Franc-Maçonnerie. Pourquoi le Rite Ecossais Ancien et Accepté dans sa diversité est-il plus pratiqué par rapport au Rite Ecossais Rectifié ? Ou si vous préférez parler plus largement des différents rites...

Jean-Pierre Bayard : En effet car il n’y a pas que ces deux rites-là. Il y a le rite Emulation, le rite Egyptien, le rite français. Ce dernier dont je n’en ai pas encore parlé est très important. Il est surtout pratiqué par le Grand Orient et il provient certainement de 1717.

L’important, c’est de tenter de saisir la genèse de ces rites. Des hommes se regroupent pour défendre des intérêts de métiers. Les corporations prennent un essor considérable avec les constructeurs de cathédrales. Le métier du bâtiment a toujours été un des mieux organisés. On peut remonter à l’époque des rois anglos-saxons, à Athelstan qui, vers 900, aurait donné les premières franchises aux Maçons. On retrouve des lois sur les métiers de constructeurs avant notre ère, chez les romains les règlements corporatifs sont nombreux. De 1261 à 1269, Etienne Boileau, prévôt de Paris, codifie les statuts des confréries dans son remarquable « Livre des métiers ».

Lorsque se forment les Loges en 1717, 14 membres réunis autour de Désaguliers et d’Anderson rédigent les Constitutions des Maçons qui paraissent en 1723, mais ces règlements sont fort transformés par leurs soins. Alors ces savants disent avoir détruit tous les documents. Mais à cette époque les Compagnons du Tour de France sont très puissants...

Arkghan : De la part de savants, cela paraît difficile à croire...

Jean-Pierre Bayard : Oui, des savants, des gens qui sont dans la recherche, dans l’entourage de Newton... On ne brûle pas des documents. D’après moi, ils ont voulu brouiller le jeu en disant les avoir brûlés afin qu’on ne cherche pas.

Arkghan : Mais, on n’a vraiment rien retrouvé comme documents ?

Jean-Pierre Bayard ; Il nous reste de nombreux vieux documents.

Arkghan : Où sont-ils ?

Jean-Pierre Bayard : Beaucoup proviennent d’Angleterre où ils sont conservés.

Arkghan : C’est une terre de liberté plus qu’en France jusqu’à la Révolution.

Jean-Pierre Bayard : Guillaume le Conquérant a importé des ouvriers français, et même de la pierre en provenance de la région de Caen. L’Angleterre n’a pas eu un développement architectural considérable, fort développé en France et en Allemagne. Pourtant c’est là, en Angleterre que l’on retrouve le plus de documents sur l’organisation des anciennes confréries de constructeurs. Il y avait en effet une plus grande ouverture d’esprit en Angleterre et une plus grande liberté. En France, les rois ont fait leur autorité territoriale plus rapidement. Le Compagnonnage a été très prospère en France et en Allemagne mais il a été poursuivi par l’Eglise, comme celle-ci le fera plus tard pour la Franc-Maçonnerie et pour les mêmes motifs.

Arkghan : Que leur reproche-t-on ?

Jean-Pierre Bayard : On les condamne parce qu’ils élisent un chef secrètement, parce qu’ils ne livrent ni à père, ni à mère, ni à confesseur le secret de leurs délibérations, qu’ils se réunissent secrètement.

Arkghan : Ils échappent au contrôle des consciences et cela remonte à quelle époque ?

Jean-Pierre Bayard : Bien avant Charlemagne, on trouve leurs condamnations. Les confréries secrètes, les compagnons itinérants sont poursuivis.

Collection particulière de J.P. Bayard

Arkghan : Puisque nous remontons à la source de la Tradition en ce qui concerne la Franc-Maçonnerie, c’est donc le moment de vous poser une question sur le Compagnonnage.
C’est aussi l’occasion d’inviter les internautes à lire votre dernier livre très intéressant et très bien illustré paru sur ce sujet aux éditions Dangles.
Pensez-vous que les méthodes pédagogiques du Compagnonnage sont toujours valables aujourd’hui ? D’après-vous, peuvent-elles êtres adaptées au système éducatif français actuel ? Je pense en particulier à la mixité.

Jean-Pierre Bayard : En effet, c’est ce que je défends en particulier dans ce dernier livre. On devrait reprendre certains des principes compagnonniques. Celui-ci a été obligé de se modifier au cours du temps. On parle même actuellement de faire entrer les femmes dans le Compagnonnage.

Arkghan : Nous retrouvons là le débat sur la mixité.

Jean-Pierre Bayard : Effectivement et toujours de la même façon. A l’association ouvrière, quelques femmes viennent d’entrer. D’autres groupes essaient de rester sur des notions anciennes et envisagent de faire des branches féminines à côté de celles masculines. Là non plus, ce n’est pas une mesure contre les femmes mais il s’agit de respecter les coutumes anciennes où les femmes ne travaillaient pas sur les chantiers. Pour construire une église, il fallait être « libre » et de bonnes mœurs. Libre, c’est ne pas être esclave, or la femme n’était alors pas libre, mais sous la puissance d’un père ou d’un mari. Pour construire un monument, le sujet doit être libre et ainsi il a des franchises. On désire respecter la séparation des sexes afin que chacun puisse travailler dans les meilleures conditions. Comme pour la Maçonnerie, ces Compagnons pensent qu’il y a un raisonnement masculin et un raisonnement féminin. Il n’y a pas de supériorité de l’un par rapport à l’autre mais des conceptions légèrement différentes.

Arkghan : C’est une différentiation et non une discrimination.

Jean-Pierre Bayard : Ce n’est pas une discrimination. Au contraire, cette distinction est valorisante car s’il n’y avait pas cette double polarité, il y aurait étouffement.

Arkghan : Pour qu’on puisse considérer le Compagnonnage comme un élément de la Tradition, il faut qu’il ait gardé ses principes. Est-ce le cas ?

Jean-Pierre Bayard : Le Compagnonnage a gardé ses lois qui perdurent encore à notre époque. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, celui qui y est reçu ne peut l’être qu’après avoir obtenu un Brevet ou un CAP et avoir 18 ans. Autrefois, on rentrait c’était une suite logique à l’apprentissage.
Cela faisait des Compagnons peut-être plus ou moins lettrés mais qui se perfectionnaient énormément, apprenaient beaucoup et non seulement sur le plan professionnel.

Arkghan : Par exemple ?

Jean-Pierre Bayard : Par exemple l’art du trait : c’est un procédé permettant de faire le tracé rigoureux faisant ressortir la coupe des volumes dans l’espace tant pour les pierres que pour la charpente et autres matériaux. Cette science du dessin est nommée actuellement stéréotomie. On la retrouve dans la géométrie descriptive divulguée par Monge.

Arkghan : Gaspard Monge, c’est une référence pour le Compagnonnage ?

Jean-Pierre Bayard : Disons au contraire qu’ils lui en veulent d’avoir dévoilé leurs principes.

Arkghan : Est-ce que le Compagnonnage a été interdit à l’époque moderne ?

Collection particulière de J.P. Bayard

Jean-Pierre Bayard : Le Compagnonnage a été interdit par le Régime de Vichy.

Arkghan : Je savais que toutes les écoles initiatiques Rosicruciennes, Martinistes ou Maçonniques furent pourchassées par Vichy mais j’ignorais que la répression avait aussi touché le Compagnonnage. Mais dans son ensemble ?

Jean-Pierre Bayard : En réalité non. Il y avait un Compagnon nommé Bernard. C’était Jean Bernard, fils du grand sculpteur Joseph Bernard qui avait beaucoup d’admirateurs et dont les oeuvres sont toujours dans de nombreux musées, comme le musée Rodin ou le musée d’Orsay à Paris.

Arkghan : Un sculpteur sur pierre qui revient à la technique en taille directe et qui va être à l’origine des Compagnons du Devoir. Mais comment parvient-il à sauver cette branche ?

Jean-Pierre Bayard : Tout simplement parce que Jean Bernard connaissait un des Docteurs qui soignait Pétain. Jean Bernard alors à Vichy a pu rencontrer Pétain, lui expliquer ce qu’était le Compagnonnage, bien distinct de la Franc-Maçonnerie. Le chef de l’Etat a ainsi autorisé le Compagnonnage en zone libre, mais il est resté interdit par les nazis. Son groupe a été autorisé mais c’était le seul.

Arkghan : Vous venez de citer l’une des branches du Compagnonnage. Quelles sont les autres ?

Jean-Pierre Bayard Actuellement, il y a trois groupes compagnonniques. Bien entendu, comme je viens de le signaler l’Association ouvrière formée durant l’Occupation et seule à être reconnue d’utilité publique et bénéficiant ainsi de larges crédits. Puis c’est la Fédération Compagnonnique qui à mes yeux est la plus valable du point de vue technique et ancienneté et enfin l’Union Compagnonnique.

Arkghan : Quelle est la particularité de cette dernière ?

Jean-Pierre Bayard : Ils instruisent dans tous les métiers, allant de photographe, retoucheur à prothésiste, en passant par les métiers du bâtiment aux cuisiniers, boulangers ou carrossiers.

Arkghan : Donc le Compagnonnage est toujours bien vivant ? Mais demeure-t-il opératif du point de vue initiatique ?

Jean-Pierre Bayard : Chaque groupe procède par une formation opérative sanctionnée par des rites initiatiques en fin de parcours du Tour de France qui existe encore de nos jours. Mais l’Association devient presque une école professionnelle. Elle perd de vue les réalités de l’initiation. Elle renoue de plus en plus avec la religion catholique alors que les deux autres groupes sont plus indépendants.
Pour se différentier, l’Association emploie une terminologie différente des anciens Compagnons. Le Compagnonnage existe donc toujours, fort vivant, c’est une école de perfectionnement et son exemple devrait être suivi par notre enseignement technique.

Arkghan : Vous répondez donc affirmativement à la question d’un Compagnonnage qui devrait exporter ses méthodes pédagogiques dans le monde de l’éducation ?

Jean-Pierre Bayard : Oui, car en tout cas c’est une école professionnelle supérieure dans les trois groupes.
Le Compagnonnage enseigne aussi la morale qui est ignorée dans les universités et même dans l’enseignement scolaire.

Arkghan : Vous parlez d’écoles supérieures, il y a donc une sélection sévère ?

Jean-Pierre Bayard : C’est très dur pour devenir Compagnon. Il y a presque trois quarts de déchets. Mais le Compagnonnage est ouvert à tout le monde. Il admet, reçoit les jeunes gens d’au moins 18 ans munis d’un CAP ou d’un Brevet. Mais on ne devient Compagnon qu’après avoir fait son Tour de France, après un minimum de trois ans. Le jeune se sera mêlé à toutes sortes de personnes dans diverses régions alors qu’on a des valeurs très sûres sur l’individu. Alors seulement il sera initié à des valeurs moralisatrices et spirituelles qui ressemblent beaucoup aux rites maçonniques, qui sont même à la base de l’initiation maçonnique, mais ces deux ordres sont totalement séparés. Cependant quelques Compagnons appartenant à des Loges maçonniques y retrouvent des symboles communs.

Arkghan : Je vous remercie, j’ai beaucoup appris à travers vos réponses et lorsque notre échange sera publié je ne serai pas le seul dans ce cas.

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Avec Jean-Pierre Bayard : la Franc-Maçonnerie, les rites et le Compagnonnage...
10 juin 2011, par El peregrino

Monsieur sans nom,

Juste l’évocation d’une « planche » entendue en Loge qui travaille à sa spiritualité en indépendance du politique ou de la religion

...Il y a quelques années je me suis mis en sommeil de la Maçonnerie pendant quelque temps. Par manque d’humilité, j’ai cru avoir fait le plus important et que seul, je pouvais continuer mon cheminement en faisant face à mes interrogations existentielles…
C’était oublier cet athanor, cette mutualisation spirituelle qu’est une Loge où je peux puiser année après année … C’était oublier le Rituel, cette source de spéculation que provoquent les symboles et les textes… C’était oublier le temps et l’assiduité sur les colonnes qui éveillent constamment l’esprit pour un écho dans notre moi….

Le Rituel, c’est une incubation inconsciente du beau, du fort, du vrai… Nous sommes comme ce spectateur allongé au bord du fleuve, il lui semble que rien ne change, l’eau s’écoule presque avec monotonie, mais dans le lit de cette rivière le limon se dépose et modifie constamment son parcours et son lit… Oh ! ne me faite par dire que la maçonnerie nous façonne, non, non, dans la forme il n’y a pas trop de changement. Je passe ici pour quelqu’un qui à le verbe trop haut et des virulences parfois désagréables et j’ai toujours été comme ça, mais dans le fond, j’ai 70 ans maintenant et je sais que je serais incapable de reconnaître l’homme qui avait 35 ans en 1976...
La maçonnerie ne m’a donné aucune leçon, elle a fait mieux, en ne faisant que suggérer une transcendance…
Je suis encore sur le chemin et ma réponse ne peut pas être définitive, c’est un chemin qui me mène vers la dernière porte. Ce que je sais maintenant, c’est que si la route est longue, difficile et si les obstacles m’apparaissent surmontables, c’est que la maçonnerie est une compagne qui m’a permis de continuer ma route en évaluant les écueils avec un peu plus de sérénité…


Avec Jean-Pierre Bayard : la Franc-Maçonnerie, les rites et le Compagnonnage...
20 avril 2007

Monsieur Bayard,

mélanger constitutions d’Andersen, tradition, initiation, coutumes, et compagnonnage me fais toujours un peu frémir. On ne sens pas dans votre approche les travaux des loges qui ont contribué à la loi Veil sur l’IVG ce qui recoupe peut être votre délire sur la venue des jeunes femmes dans le compagnonnage (à l’Association, que vous semblez, par ailleurs grossièrement méconnaître, et que pourtant vous n’hésitez à juger). C’est un grand dommage de présenter le compagnonnage selon ce seul angle (tronqué aurait dit Gaspard Monge !!!). Les compagnons ne construisent plus de cathèdrales, autres temps autre moeurs, mais la véritable tradition (qui passe par l’initiation qui a priori a du vous manquer) reste, il s’agit bien de s’accomplir au travers le métier et par le voyage.


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