C’était le 22 février 1997, Raymond Bernard qui était alors Grand-Maître de l’Ordre Souverain du Temple Initiatique avait accepté de rencontrer Theodore J. Nottingham pour une interview. Au début de l’entretien, il déclara en riant qu’il porterait pour l’occasion le nom de Valaire de Gramscott, son daïmon du jour. Nous avons tenu à respecter son souhait. La rencontre eut lieu au coeur de Paris, non loin de la place de la Concorde. L’un des créateurs des "Baladins de la Tradition" y assistait.
A l’occasion du deuxième anniversaire du décès de Raymond Bernard, nous sommes heureux d’honorer son souhait d’être le cinquième interviewé du site des "Baladins de la Tradition" en publiant cet article inédit en langue française jusqu’à ce jour.
"Les Baladins de la Tradition" tiennent à remercier Theodore J. Nottingham de leur avoir confié ce document historique.
Theodore J. Nottingham : Comment pourriez-vous décrire la direction de votre vie ?
Valaire de Gramscott : Je pense que la direction de ma vie a été établie dès le début et même dès l’enfance. Mes parents étaient extrêmement libéraux et ouverts. Ils étaient en outre d’une tolérance absolue, bien qu’ils aient dirigé leurs enfants selon les voies étroites d’une morale bien établie et qui était conforme à ce qui était généralement admis dans des milieux assez ouverts de l’époque où je suis entré dans cette vie physique.

- Raymond Bernard
Je suis né catholique romain, pour ainsi dire par tradition puisque ma famille appartenait à cette religion et qu’il était de coutume dans notre famille de suivre ce qui avait été fait dans le passé en ce qui concerne ce domaine particulier. J’ai donc suivi les études normales d’un enfant d’abord, puis d’un adolescent, dans les dogmes catholiques tels qu’ils étaient transmis par les prêtres à cette époque.
Cela naturellement étant à part complètement des études proprement dites que je pouvais faire dans ma vie, en vue d’une situation professionnelle ultérieure. J’ai été élevé dans des collèges privés catholiques précisément, dans lesquels, à la formation purement intellectuelle, s’ajoutait cette pratique religieuse qui était, à cette époque, une obligation et qui conditionnait dans une certaine mesure, une mesure même assez large, toutes les activités scolaires et ultérieurement dans les collèges et à l’université.
Et dès le début, et même à une période reculée de l’enfance, j’étais très attiré par tout ce qui concernait les mystères de la vie et aussi l’aspect religieux au sens très large du terme, se rapportant à la création, à l’existence d’un monde peuplé de personnes ou êtres et qui vivaient, répondant à nos questions et à tout ce qui pouvait concerner notre vie proprement dite.
Grâce à ma mère, j’ai pu être assez rapidement en relation avec certains professeurs passant leurs vacances dans la région de France où j’habitais, c’est-à-dire dans les Alpes, et je me souviens d’un professeur de philosophie, une femme, âgée, qui m’avait révélé et instruit sur toute la mythologie grecque dans un aspect, certes académique, mais également en relation avec des données traditionnelles qui dépassaient largement toutes ces questions limitées à la simple histoire et à l’explication de la particularité de cette mythologie proprement dite. Je devais également étudier en même temps au commencement, le piano puis par la suite le violon et je dois dire que la pratique de la musique toute ma vie a été un élément de stabilité et d’inspiration extrêmement élevé.
Au moment de la Deuxième Guerre mondiale, en 1940, une anglaise âgée, qui avait dirigé un grand collège en Angleterre et qui vivait habituellement à Ibiza, était venue dans les Alpes et avait été bloquée là par la guerre, ne pouvant retourner aux Baléares. Comme j’apprenais à l’époque l’anglais, grâce à ma mère encore, j’étais entré en rapport avec cette personne de manière à pratiquer un peu l’anglais et peu à peu, nous étions devenus très liés et je la considérai comme un maître pouvant m’apporter des indications utiles et répondant à beaucoup de questions.

- Jeanne Guesdon
Ce qui m’avait particulièrement frappé, c’était à un moment où, désirant partir en Angleterre par les voies qui permettaient de quitter la France de manière illégale pour rejoindre les forces combattantes, alors qu’en France nous étions occupés par les Allemands, je devais le faire avec un polonais de mon âge, qui, lui était également réfugié dans la région où je me trouvais ; j’avais interrogé cette personne anglaise, Mrs Edith Lynn, et j’avais vu qu’elle consultait un livre fait de tableaux et donnant des indications, et à partir de ce tableau me donnant des conseils que je devais suivre : l’échec était au bout de la tentative et j’avais dû rentrer à la maison et reprendre mon travail, de sorte que je restai ainsi en contact avec madame Edith Lynn qui, le jour de mon anniversaire, vint me trouver - je devais avoir 17 ans - et m’apporta une brochure « The secret Heritage » qui correspond à une brochure actuellement en cours dans l’Ordre de la Rose-Croix AMORC [1] et qui s’appelle maintenant « Maîtrise de la Vie ».
Et Edith Lynn me forma tout à fait dans le domaine de la spiritualité. Elle m’instruisit de différentes écoles, elle m’ouvrit l’esprit sur Sri Aurobindo et la pensée orientale ; tout en faisant le point par une sorte de comparaison des religions avec tout ce qui existait dans le monde et aussi me faisant lire les ouvrages qu’elle pouvait avoir de l’AMORC et les revues « Rosicrucian Digest » qui pouvaient être en sa possession. J’étais donc ainsi préparé, si je puis dire, sans que je sache moi-même où j’étais dirigé parce que je me destinais à une profession qui aurait pu me conduire à faire Sciences Politiques, c’est-à-dire mon Droit d’une part et me diriger ensuite vers le domaine diplomatique.
Au moment où la guerre se terminait, après avoir moi-même été dans les « Chantiers de Jeunesse » qui étaient une forme para-militaire secrète, pendant la guerre, à l’insu des Allemands, où tout au moins avec la tolérance qu’ils avaient, ne comprenant pas les buts de ces chantiers où il n’y avait pas d’armes, mais où il y avait une formation très rigoureuse, et après avoir été mobilisé pour participer aux derniers mois de la guerre et faire mon service militaire, lorsque je revins à la maison, je trouvai une note d’Edith Lynn qui me disait : « Voilà, j’ai fait tout ce que j’avais à faire pour vous, maintenant, continuez votre chemin et entrez en contact avec Jeanne Guesdon. » Jeanne Guesdon [2] qui était en France la représentante de l’AMORC (mais il n’y avait pas encore d’Ordre de la Rose-Croix en France).

- Raymond Bernard et Ralph M. Lewis
- Première Convention de l’AMORC à Paris (1959)
Et c’est ainsi qu’a été ma première formation ; j’ai été en relation avec Jeanne Guesdon très longtemps – je ne l’ai jamais vue de son vivant – mais je savais tout ce qui se passait à Villeneuve-Saint-Georges pour l’établissement de l’Ordre et je suis devenu le premier membre de l’AMORC dans le territoire de langue française. Ensuite, je suis devenu membre de la Militia Crucifera Evangelica vers 1952.
Puis un jour, Jeanne Guesdon étant décédée et comme il y avait ici, au siège de l’AMORC en France, quelqu’un qui ne parlait pas bien le français et qui était suédois, et n’avait pas la possibilité de remplir ce qui était attendu de lui, Ralph Lewis [3], après m’avoir mis en contact en Italie avec des personnes que j’aurais pu rencontrer puisque je m’y rendais en voyage privé avec mon épouse, me proposa de venir et de prendre la suite, ce qui naturellement posa quelques problèmes étant donné que j’avais une situation bien établie. Jeanne Guesdon d’ailleurs, avant son décès, interrogée par Ralph Lewis avait dit : « Je connais quelqu’un qui pourrait prendre la suite, mais il a une trop bonne situation, mais vous verrez le moment venu. » Et c’est ainsi que tout s’est fait. Je me suis retrouvé donc à la tête de la Rose-Croix AMORC et je me suis efforcé de l’établir fortement, établissant des organismes partout et rencontrant un grand succès grâce au travail effectué et aussi aux quelques relations que j’avais dans d’autres mouvements traditionnels qui pouvaient apporter l’aide nécessaire.
Entre-temps, à Rome, puis ensuite à Paris, j’avais été reçu dans la Franc-Maçonnerie et j’étais maître maçon, mais peu à peu, je devais laisser cette activité de côté, étant trop occupé par ailleurs naturellement pour établir l’AMORC. Par la suite, j’ai été élu au Bureau Suprême, j’ai rempli différentes fonctions dans l’AMORC, notamment celle de Légat Suprême, d’abord pour l’Europe, puis pour le monde entier [4] et j’ai quitté par la suite, le moment venu, laissant mon fils [5] assumer les fonctions qu’il devait remplir et il l’a fait à la suite de ce que j’avais fait moi-même.
Voilà, d’une manière très résumée, la démarche qui a été la mienne et c’est pourquoi je disais dès le départ que, vraiment, à partir de l’enfance, jusqu’au moment où j’ai été appelé à servir dans un domaine particulier, toute ma vie, toute cette direction était pour ainsi dire prévue, pré-ordonnée d’une certaine manière et cela étant sans doute la conséquence de ce qui était destiné pour moi en raison du passé puisque je crois, en ce qui me concerne, en la réincarnation, celle-ci s’effectuant uniquement dans un corps d’homme ou de femme, mais jamais, comme l’enseigne la métempsychose, avec un retour dans des ordres inférieurs, végétaux, animaux, etc.

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