Cette société fut fondée au XVIème siècle par un imprimeur lyonnais, elle était d’obédience maçonnique. [1] Le nom ou plutôt pseudonyme du fondateur était Gryphe, nom grec qui signifie le brouillard.
Mazelier écrit dans les cahiers d’études Cathares "En lisant Nerval" à propos de la Société Angélique et de son créateur à l’emblême du griffon : "c’était la nue, le nuage qui embrassait Ixion et que les grecs nommaient Gryphe, l’embrouillée avec une tête de boeuf pour hiéroglyphe".
Citons maintenant V. Lamy : "Curieux terme à priori que celui de brouillard et qui réclame quelques explications. Il est l’Inconnu nous l’avons dit, c’est lui qui préside aux nuées d’Aristophane aussi bien qu’au Niebelung". L’auteur ajoute une remarque qui nous intéresse beaucoup. "De même que le mot sanscrit "Ghana", "nuage", est appliqué à l’embryon primordial, de même dans l’ésotérisme islamique le nuage (al ama) est l’état inconnaissable d’Allah devant la manifestation. Ajoutons avec L. C. de Saint-Martin que la nébulosité enveloppe toujours des éclats de lumière qui sillonnent les ténèbres humaines parce que nos sens ne pourront en soutenir l’éclat".
Il s’agit donc peut-être de l’Agent Inconnu dont parlent les Martinistes. Grasset d’Orcet aurait dressé une liste de membres de cette société... Nous y trouvons Dante, Rabelais, Cervantes, Goethe, plus tard Dumas, Nerval, George Sand, V. Hugo, J. Verne. Il y avait peut-être aussi Balzac. V. Lamy montre que G. Sand marquait son appartenance à la société par la récurrence fréquente du mot ange dans son oeuvre. Dans "Spiridon" d’abord avec le novice ange et le premier nom qu’elle avait choisi pour Hebronius : Pierre d’Engelwald. Dans "Consuelo" ensuite où la fille de Carilla et Anzoletto sera nommée Angèle. Et puis de bien curieux passages dans la comtesse de Rudolsta ou George Sand lie l’Ange et l’oiseau : le rossignol.
La récurrence du mot ange chez Balzac est aussi très remarquable dans "Béatrix", "Le Lys dans la Vallée", "Ursule Mirouët", "La Recherche de l’Absolu" entre autres.

- Le Songe de Poliphile"(1467), était la "bible" de la société Angélique. L’ouvrage offre de profonde similarités avec "Les Noces Chymiques" de Christian Rosenkreutz.
Dumas, membre de la société angélique, fut l’ami de Papus et d’Eliphas Levi. Ces deux grands mages du XIXe siècle étaient étroitement liés à Balzac. Nerval était, nous l’avons vu, très imprégné de la pensée Martiniste. Initié chez les Druzes, il écrit dans son voyage en Orient qu’ils sont les Rose-Croix d’Orient. [2] Pour risquer une telle comparaison qui est tout à fait pertinente, encore faut-il bien connaître les Rose-Croix. Jules Verne affirme que la formule "Transire Benefaciendo" devrait guider tout homme. Balzac en fait la maxime des "Frères de la Consolation" dans "L’Envers de l’Histoire Contemporaine".
Est-ce un hasard si ces deux auteurs se réfèrent à la maxime des Rose-Croix ?
"Je ne suis point orthodoxe et ne croix pas à l’église romaine. Le swedenborgisme est ma religion." H. de Balzac.
Une lettre de Henri de Latouche à son cousin :
"Je n’ose te parler de toi relativement à ton voyage. Je suis persuadé que tu as manqué de "VOULOIR". Si tu avais bien voulu les obstacles auraient cédé. J’ai sur cette puissance si rare, la volonté, une théorie qui place avant tous les fluides électriques et les puissances surnaturelles sa fascination irrésistible. J’en ai souvent montré les effets à Balzac. Elle seule a fait d’un fils d’huissier corse le maître de l’Europe, l’Empereur et le roi qui a été seize ans locataire des Tuileries. Je suis convaincu que, si tu le voulais bien, mais je dis à chaque pulsation de tes artères, le soir au bonnet de coton, le matin avant de faire avaler le vin, tu parviendrais à coucher avec la reine Amélie, dût ta femme en crever de dépit ou de rire".
Balzac doit à H. de Latouche sa conscience littéraire, sa méticulosité et son perfectionnisme. Il lui a emprunté nombre de recettes d’écrivain, le sens de la description des décors et le réalisme dans la peinture des lieux. Il semble qu’il lui doive sa vocation littéraire et certaines de ses manies telles le collectionnisme d’objets rares et insolites. L’extrait de lettre qui précède fait un éloge de la volonté et en esquisse une définition scientifico-magique très conforme aux conceptions Martinistes. Les principes et l’application de cette force, Balzac les tient donc de H. de Latouche. Cette qualité est particulièrement recommandée à l’artiste qui doit s’identifier au Créateur et collaborer à son oeuvre. Cette volonté peut servir à assouvir les désirs mondains, les désirs charnels, ou l’ambition comme dans "La peau de chagrin". H. de Latouche, assurément, incita Balzac à la vanité littéraire. A la foi naïve en son propre génie, cette vanité lui fait adopter un mépris total envers l’opinion des critiques. Cependant, il put bien semer en lui les germes du plus haut idéalisme.
Certaines oeuvres ont été inspirées par H. de Latouche comme "Séraphîta". Le maître avait écrit "Fragoletta".
Balzac écrit à Madame HANSKA le 20 octobre 1833 :
"Séraphîta serait les deux natures en un seul être, comme Fragoletta, mais avec cette différence que je suppose cette créature un ange arrivé à sa dernière transformation et brisant son enveloppe pour monter aux cieux".
Malgré le côté anticlérical et républicain de Balzac -qui s’oppose au Balzac religieux et royaliste- Henri de Latouche aura donc contribué à la formation mystique Martiniste et Swedenborgienne de Balzac.
L’emprunt à Henri de Latouche pour Séraphîta ne doit pas nous étonner plus que l’emprunt à Sainte Beuve pour "Le Lys dans la Vallée" (Volupté). Balzac avait d’étonnantes dispositions pour l’adaptation et le syncrétisme.
Sans doute les idées d’une évolution humaine jusqu’au règne angélique, d’une dualité homme intérieur-homme extérieur, et de l’androgynat étaient-elles partagées par Balzac et Henri de Latouche dans la foi Swedenborgienne.
Mais Henri de Latouche fut-il l’initiateur de Balzac au Martinisme ? Si tel est le cas, nul ne saurait en fournir les preuves qui n’y soit autorisé, les faits ésotériques ne sont jamais cachés sans raison et ne peuvent être révélés que quand il se doit.
Mais le goût de Balzac pour les sociétés secrètes ne saurait être un fruit de notre imagination. Non seulement parce que la Comédie Humaine en fait état, mais aussi parce qu’il en fonda une lui-même, "Le Cheval Rouge", dont les buts étaient la promotion littéraire de ses membres par un soutien réciproque inconditionnel. Si ce projet dont il était l’instigateur échoua, nous ne saurions nous étonner que son auteur n’ait participé à des entreprises plus sérieuses.
La rencontre des deux hommes est un tournant dans l’évolution du jeune écrivain. "Louis Lambert" et "La Peau de Chagrin" sont des romans autobiographiques et la rencontre des deux hommes a le caractère providentiel de celle entre Raphaël et la Peau de Chagrin. Le jeune homme est soustrait au suicide : "Moi, je regarde la Seine et je me demande si je ne vais me coucher dans ses bras humides". Il est mis sur la route du succès où il va user sa vie.

- H. de Balzac
Henri de Latouche est alors un vétéran de la bataille romantique, un auteur dramatique, journaliste essayiste brillant ; traducteur des romantiques allemands. Il est l’éditeur de Chénier. C’est lui qui devait lancer la mode romantique des vieilles légendes et faire connaître la littérature étrangère dont Goethe et Schiller. Il est l’intime de Lamartine, Hugo, Chateaubriand, Vigny. On comprend qu’il fut un Maître pour Balzac dont les débuts en littérature étaient difficiles. Lorsque Henri de Latouche fit l’éloge du roman de Balzac "Wann-Clore" dans "La Pandore", il le fit sortir définitivement de l’ombre et ce fut le commencement pour Balzac d’un apprentissage, certes littéraire et mondain, mais aussi philosophique.
"Il s’attacha à lui, lui donna ses librairies et s’amusait à débrouiller dans de longues causeries ce cerveau compliqué", dit G. Sand. De ces conversions, il est dommage qu’il ne nous reste trace, G. Sand en avait une idée très certainement. Frédéric Segu dans "De Latouche, un Maître de Balzac méconnu", dit : "Aucun témoin ne nous a rapporté les conversations de H. de Latouche et de G. Sand, de H. de Latouche et Balzac". Gageons qu’elles étaient très teintées "d’Angélisme".
Il est curieux de constater que même post mortem le destin de Balzac est associé aux sociétés secrètes et à l’ésotérisme.
Le grand ésotériste et penseur contemporain Raymond Abellio s’est penché sur "La Comédie Humaine", essayant une analyse littéraire basée sur son système de la structure absolue.
René Schwaller de Lubicz surnommé Aor fut le fondateur en 1945 d’une société secrète, "La Fraternité des Veilleurs", dont on connaît quelques sympathisants : Henri Barbusse, Paul Fort, le sculpteur Bourdelle, le peintre flamand Fernand Léger. Le rêve qu’avait fait Balzac d’une aristocratie des arts et des lettres se réalisait, et grâce à son épouse Isha schwalller, le savant ésotériste put racheter la maison de Balzac, à Auteuil.
Si le Martinisme de Balzac est un mythe, celui-ci alors a la dent dure.
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