L’écriture, dans sa fin la plus sublime, est une tentative pour retrouver le langage angélique. Elle constitue donc avec les autres arts un moyen offert à l’homme, à l’artiste illuminé, pour oeuvrer à sa Réintégration. Le martinisme peut être une idéologie inspiratrice pour l’écrivain et nous étudions ici le cas de Balzac. Mais il est un autre auteur, son contemporain, chez qui cette influence est manifeste, il s’agit de Gérard de Nerval.
L’article d’Anne Marie Amiot dans "Le cahier de l’Herne" consacré à Nerval, traite le sujet en profondeur. Les mêmes thèmes martinistes que nous avons étudié chez Balzac sont évoqués dans l’oeuvre Nervalienne, surtout dans Aurélia. Citons pour mémoire : la vanité de l’érudition intellectuelle et du savoir livresque ; l’inévitable douleur que trouve "L’Homme de Désir" dans la prise de conscience de sa condition d’exil ; l’importance de la vie onirique révélatrice du surnaturel et de la double nature de l’homme ; le rôle régénérateur de la Volonté et la nécessité de pratiquer la charité ; le rôle rédempteur de la femme ambassadrice de la Divine SOPHIA, la Sagesse ; le mystère des origines cosmogoniques ; les tentations démoniaques ; l’origine de l’écriture ; puis enfin la recherche du langage angélique.
La conclusion de Anne Marie Amiot sur Nerval résume presque notre propre réflexion sur Balzac :
"Comme le voulait Saint-Martin, l’entreprise littéraire apparait ici comme la forme la plus élaborée et la plus efficace de la spiritualité "engagée" dans la lutte toujours recommencée contre l’Esprit des Ténèbres, celui que Boehme ou Saint-Martin nomment Satan".
Dans "le Ministère de l’Homme Esprit", le théosophe appelle les littérateurs à fonder une littérature nouvelle, dégagée du formalisme technique qui caractérise le classicisme et destinée à exprimer la spiritualité de la parole, c’est-à-dire l’inspiration divine. Selon lui, la littérature de l’avenir doit être prophétique au sens le plus large, elle ne doit plus "mimer" les formes du monde, ni répéter les paroles mortes, mais révéler aux homme les terres inconnues du savoir, se référant à la théorie Boehmienne de la Parole qui est création, révélation de la parole jusqu’alors occultée du monde naturel. Saint-Martin propose une conception radicalement neuve de la littérature qui devient poésie (c’est-à-dire création). Or, Boehme avait poussé la logique de son système jusqu’à inventer des mots susceptibles d’exprimer la nouveauté radicale des mondes que lui révélaient ses visions. Si la littérature a cette révélation pour objet/sujet, elle est donc invention totale, sur le plan linguistique elle se veut à la limite invention d’une langue inouïe que Mallarmé nommera "Le Dire de l’Ineffable" ; sur le plan du contenu, elle présentera la plus grande variété en fonction du domaine sur lequel porte la révélation : nature, homme, histoire, etc ... Si tout discours est contenu en germe dans le verbe primordial, si les écritures sacrées ont déjà tout dit, et si rien n’est donc nouveau sous le soleil, nous nous trouvons face à un paradoxe car la mystique martiniste est un appel à la création, à la nouveauté, chacun doit retrouver à sa manière, d’une façon unique et personnelle, l’Unité Originelle et devenir co-créateur d’un monde particulier au sein du Grand Tout.
La poésie et au-dessus d’elle la musique, sont les formes les plus approchées du langage angélique.
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